Le Jikji. © Eleonore Bassop
Par la journaliste honoraire de Korea.net Éléonore Bassop de France
Le Jikji est à l’honneur ce printemps à Paris. Après une conférence organisée au Centre Culturel Coréen le 13 avril, l'exposition « Imprimer ! L’Europe de Gutenberg » se tient à la Bibliothèque nationale de France François-Mitterrand depuis le 13 avril et jusqu’au 16 juillet. C’est l’occasion de découvrir le Jikji du moine bouddhiste Baegun, le premier livre du monde imprimé à partir de caractères mobiles en métal, et la Bible de Gutenberg, révolution majeure de l’imprimerie du monde occidental.
Qu’est-ce que le Jikji ?
Dès le 7e siècle, la Chine et la Corée possèdent deux procédés d’impression : la xylographie et la typographie, qui utilisent des caractères mobiles en terre cuite, en bois ou en céramique. La découverte des caractères métalliques apportera un nouveau souffle à la typographie coréenne.
A la fin du 14e siècle, alors que le royaume de Goryo (918-1392) périclite, les idéologies bouddhiste et néoconfucianiste s’affrontent pour conserver ou étendre leur autorité sur le royaume. Le néoconfucianisme s’impose par la critique de la dégradation des pratiques bouddhistes et deviendra le courant religieux officiel du nouveau royaume de Joseon (1392-1910).
Conscient des déviances et de la perte d’influence du bouddhisme dans Goryo, le moine Baegun (1298-1374), a rassemblé plus de 300 préceptes de patriarches Chan pour accompagner les pratiquants sur la voie de l’éveil spirituel. Ce recueil de textes est le
baegun hwasang chorok buljo jikji simche yojeol, ou Jikji, un livre sacré, second volume d’une œuvre originale en deux volumes et qui combinait deux principaux genres de la littérature Chan : les annales de transmission de la lampe et les recueils de gong’an.
Ce livre bouddhique, en très bon état bien que tacheté de sève sur quelques pages, a pu être conservé dans le creux d’une statue bouddhique, la tradition voulant que pour consacrer une statue de Bouddha ou de Bodhisattva, il fallait y insérer une relique.
Introduit en France par Victor Collin de Plancy, un diplomate qui l’aurait acheté en Corée vers 1899, l’ouvrage fut légué en 1950 à la Bibliothèque nationale de France. Il est inscrit au programme Mémoire du monde de l'Unesco depuis 2001.
Le Jikji a été traduit en français en 2022 par Yannick Bruneton, professeur à l’université Paris-Cité et spécialiste de la période Goryo.
Qui est Baegun ?
Le moine Baegun, aussi appelé par son nom bouddhiste Gyeonghan, est né à Kobu en 1298, dans l’actuelle ville de Jeongeup dans la province de Jeolla-do, en Corée du Sud. C’est un moine bouddhiste, disciple de la tradition religieuse et philosophique dont le nom est Seon en Corée, Chan en Chine et Zen au Japon. En 1351, il se rend en Chine pour étudier le Dharma auprès du maître Linji Shiyu Qinggong. En 1353, il revient à Goryo où il fait l’expérience du grand éveil. En 1365, il accepte un poste de moine en chef au temple Shingwang que lui a accordé le roi Kongmin (1330-1374) sur recommandation. Pendant 11 ans, il a enseigné dans divers petits ermitages. Il s'éteint en 1374, à 77 ans, au temple Chwiamsa, à Yeoju.
Ses enseignements sont caractérisés par le concept d’« absence d'esprit, absence de pensée », considéré par Baegun comme l'état ultime de la méditation Seon. Selon lui, « l'absence d'esprit n'est pas un état d'esprit dans lequel il n'y a pas de conscience du monde, la pratique consiste à lâcher prise. Si vous avez l'absence d'esprit, alors vous ne serez pas toujours plein d'illusions. »
À 75 ans, il rassemble des discours et des hymnes sur le Dharma prononcés par les maîtres du bouddhisme auxquels il ajoute ses poèmes, ses lettres et des extraits de ses enseignements conservés par maître Seokchan, son assistant. C’est ce qui constituera le Jikji, source d'inspiration pour l'étude du Seon telle qu’enseignée par Baegun. Le Jikji a été publié en 1377, trois ans après le décès de l’auteur, au temple Heungdeok à Cheongju, grâce au procédé de caractères mobiles en métal, et est aujourd’hui exposé à la BNF à Paris.
Qu’est-ce que la Bible de Gutenberg ?
Produite vers 1455, la Bible latine en deux volumes de Gutenberg est le premier ouvrage majeur imprimé en Occident grâce à des caractères métalliques mobiles. Elle a été imprimée en deux volumes de 648 pages et 634 pages à Mayence en Allemagne. Sur les 180 exemplaires d’origine, il reste 50 exemplaires. L’un d’eux est conservé à la bibliothèque Mazarine, à Paris.
Qui est Johannes Gutenberg ?
Johannes Gutenberg (1400-1468) est né à Mayence, en Allemagne. En 1428, alors qu’il s’apprête à exercer le métier d’orfèvre comme son père, un conflit politique l’oblige à s’exiler à Strasbourg en France.
Dès 1440, il s’essaie à la reproduction de textes en mettant au point une technique à l'aide de caractères mobiles en métal. Cette technique consiste à fondre des caractères en plomb, mobiles et réutilisables, permettant d'imprimer à l'aide d'une presse des livres en masse. L’usage à cette époque était d’utiliser le procédé de la gravure sur bois ou la pratique de la copie de livres manuscrits des copistes, sans qui nombre de livres de l’Antiquité ne nous seraient pas parvenus.
Revenu à Mayence en 1448, Gutenberg perfectionne son invention et, en 1455, il livre sa première œuvre, la fameuse Bible latine en deux colonnes, dite « à quarante-deux lignes » ou Bible de Gutenberg.
Le livre imprimé va accélérer l’expansion des idées et favoriser la révolution culturelle en Europe.
Johannes Gutenberg, Jean-Luc Lacroix. © Musée de Grenoble
Impact de l’imprimerie
Le perfectionnement de l’imprimerie grâce à Gutenberg a connu un essor fulgurant, des presses se propagèrent dans toute l’Europe, ouvrant la voie à une production de livres en tous genres et à la diffusion des idées des humanistes européens.
L’exposition qui se tient actuellement à la Bibliothèque nationale de France François-Mitterrand présente ces humanistes dont les œuvres ont parcouru l’Europe, comme Joachim Du Bellay, Erasme, François Rabelais, Boccace ou Albrecht Dürer, pionnier du livre illustré. Un autre joyau figure dans la collection de cette exposition : une copie de la presse originale de Gutenberg.
Au royaume de Goryo, la diffusion du Jikji et d’autres textes a été plus laborieuse pour deux raisons : l’élimination des institutions bouddhistes avec l’avènement de la dynastie Joseon et la Guerre d’Imjin (1592-1598) avec les invasions japonaises qui ont ravagé tout le royaume.
Pourtant, les soubresauts de l’histoire n’ont pas empêché de consolider et de préserver l’identité coréenne grâce à l’impression des livres et à la propagation des écrits de la cour et des chroniques royales. Ces écrits, tout comme le hangeul, l’alphabet coréen inventé par le roi Sejong en 1443, ont permis d’unir le peuple sous des idéaux communs.
Le Jikji à l’ère de la restitution des biens culturels
En ces temps où de nombreux États réclament le retour des objets culturels dans leur pays d’origine, peut-on aussi s’interroger sur le retour du Jikji en Corée ?
Lors de la discussion organisée à l’occasion de al diffusion du film
Jikji, un voyage dans le temps de l’écrit de Jérôme-Cecil Auffret et de l’exposition « Imprimer ! L’Europe de Gutenberg », une jeune coréenne a lancé « à quand le retour du Jikji en Corée du Sud ? ». La réponse évasive de l’un des conférenciers n’a pas semblé la satisfaire.
Discussion suivant la projection du film Jikji, un voyage dans le temps de l’écrit de Jérôme-Cecil Auffret (2020, 100 min) © Éléonore Bassop
* Cet article a été rédigé par une journaliste honoraire de Korea.net. Présents partout à travers le monde, nos journalistes honoraires partagent leur passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.
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