Journalistes honoraires

04.08.2023

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Par la journaliste honoraire de Korea.net Adriana Rabe de France

Amélie Choi.

Amélie Choi. © Amélie Choi


Adriana Rabe : Bonjour Amélie, merci beaucoup de prendre du temps pour répondre à mes questions. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Quel est votre parcours ?

Amélie Choi : Je m’appelle Amélie, 37 ans, maman de deux petites filles et installée en Corée depuis 12 ans maintenant. J’ai d’abord décidé de venir ici en 2011 pour améliorer mon coréen en centre de langue où je suis allée jusqu'au dernier niveau. J’ai ensuite fait un bachelor « langue et culture françaises » tout en coréen (autant dire que j’ai pas mal souffert...). J’ai été diplômée en 2018. J’ai travaillé cinq ans pour KBS World Radio au service français comme pigiste-animatrice et j’ai commencé la traduction webtoon en 2020. C’est aujourd’hui mon métier à temps plein. Je suis également relectrice de la partie française du site Korea.net depuis dix ans ! Comme le temps passe…

Comment avez-vous découvert le webtoon ? Qu’est-ce qui vous a plu dans ce format ?

J’ai d’abord entendu parler de Delitoon en 2013, la plateforme était encore récente. Mais je ne m’y étais pas intéressée plus que ça. J’avais répondu à une mission de lecture/critique d’une agence coréenne qui souhaitait adapter une série Delitoon en coréen, je ne sais même pas si ça a abouti. Le format est juste parfait pour moi qui ai toujours mon téléphone en main pour x ou y raison. La lecture est rapide, les histoires souvent intéressantes et les styles variés. L’histoire défile sous mes yeux, c’est ce que je préfère.

Knuckle Girl © DELITOON/KIDARI

Knuckle Girl. © DELITOON/KIDARI


Est-ce que vous lisez des webtoons ? Quelles sont vos séries préférées ?

J’en lis beaucoup ! Je dépense pas mal d’argent pour lire sur les plateformes officielles, je dois suivre une vingtaine ou trentaine de séries… Il m’arrive d’en abandonner en cours de route, car l’histoire traîne en longueur ou devient moins intéressante, mais le début des séries est ce qui m’excite le plus. La découverte des personnages, leur psychologie surtout, les situations. Pour ses dessins, la série Serena sur Naver Webtoon est un petit bijou. Daytime Star aussi, sur la même plateforme, a des dessins incroyables. Sur Delitoon, j’aime beaucoup la romance My Toxic Rich Boss grâce aux répliques merveilleusement bien traduites par une collègue très douée ! Il y a aussi La Manche Rouge, un somptueux webtoon historique aux dessins très réussis et à l’histoire très prenante. Ce webtoon a d’ailleurs un drama du même nom pour ceux que ça intéresse, mais je ne sais pas s’il y a des sous-titres français. Dans un tout autre genre, K, le Nettoyeur, également traduit par une collègue de talent. C’est un thriller que j’aurais tellement aimé voir adapté en série télé tant l’histoire prend aux tripes. Dès les premiers épisodes, la lecture est très difficile car tout est décrit (je ne spoile rien, je vous laisse aller voir) et tout le reste de la lecture nous enrage car de lourds sujets, tels que la corruption, sont évoqués par l’auteur. Chaque épisode se termine par ailleurs par la date du naufrage du Sewol. Les deux dernières séries que j’adore (parce que la liste serait trop longue, si je devais toutes les citer), sont traduites par mes soins pour Delitoon. La première c’est une série de boxe/street fight/arts martiaux qui s’appelle Knuckle Girl. On est sur une série où l’héroïne va tout faire pour venger l’agression dont a été victime sa petite sœur, et pour ce faire, elle va se battre… beaucoup se battre. La seconde et dernière, c’est une série très récente sortie le 10 juillet, c’est un BL (boy’s love) pour un public adulte, qu’on peut lire sur la plateforme le Bontoon. Elle s’appelle Derrière le masque. Elle n’est pas toujours facile à traduire car très axée sur la psychologie des personnages et, comme je le disais plus tôt, c’est quelque chose qui me plaît énormément dans les histoires que je lis et traduis.

Serena © NAVER WEBTOON

Serena. © NAVER WEBTOON


Sur quelles plateformes lisez-vous habituellement ?

Je lis sur les principales plateformes, à savoir Delitoon, Naver Webtoon et Piccoma.

Pensez-vous que le webtoon peut s’imposer de manière durable ?

Je vais parler du point de vue de la France et de la francophonie en général. Oui, mais pour cela, il faut derrière des professionnels respectés dans leur profession. Sans traducteurs, correcteurs et lettreurs, le webtoon n’existerait pas en France. Il y a eu un gros boum des plateformes et des séries, mais comme tout le monde peut le constater, c’est un peu la concurrence avec celui qui arrivera à écraser tous les autres. Survivre en tant que plateforme, ce n’est pas facile, surtout si on n’a pas les moyens d’acheter beaucoup de licences pour faire venir des œuvres, coréennes ou non, en France. La loi du plus fort est bien là. Les acteurs de l’ombre, dont je fais partie, essaient tant bien que mal de se faire respecter et cela passe par des tarifs décents qui ne sont pas (rarement) au rendez-vous à cause des quelques studios missionnés par les diffuseurs (comprendre les plateformes). Les tarifs proposés par la majorité des studios sont scandaleusement bas et leur marge encore plus scandaleuse. Certains, comme moi, ont la chance de travailler en direct pour les plateformes et ne subissent donc pas le tarif insultant de certains studios, mais une très grande partie de mes collègues sont largement sous-payés. Il en va de même pour les correcteurs et les lettreurs. Certains studios se détachent du lot et font briller nos métiers de la BD, donc j’espère que grâce à eux, oui, le webtoon a de beaux jours devant lui et que les plateformes continueront à faire appel à des traducteurs, correcteurs et lettreurs en direct et pas forcément via des studios pour s’assurer des séries traduites, corrigées et lettrées de qualité. On passera bien plus de temps à peaufiner un épisode trois fois mieux payé en direct qu’un épisode rémunéré à un tarif réduit. Les lecteurs n’ont pas forcément conscience de tout l’envers du décor mais une chose est sûre, on travaille avec passion pour leur offrir des séries de qualité.

Pouvez-vous présenter votre métier ?

La traduction webtoon est loin d’être ennuyeuse. Pour être honnête, à une époque, je disais : « moi, la traduction, jamais ! ». Eh oui, il ne faut jamais dire jamais, la preuve. Je m’épanouis là-dedans depuis trois ans. La traduction, ce n'est pas un métier, mais plusieurs. Je suis traductrice webtoon, mais pas traductrice technique (du moins, pas encore). Mon domaine d’expertise se porte surtout sur ce genre car toute mon expérience est là. La traduction, c’est s’immerger dans l’univers d’un auteur, faire connaissance avec ses personnages, son style d’écriture, son humour parfois. C’est réussir à rester fidèle au texte d’origine, faire passer le message de l’auteur, mettre en valeur les dessins par les textes. Je pense sincèrement qu’il faut quand même une fibre littéraire pour trouver son bonheur dans la traduction de webtoon. Une petite âme poète ajoute aussi beaucoup de cachet à la version française d’une histoire à la base racontée en coréen avec des références et expressions coréennes que l’on doit adapter à un lectorat francophone. Il faut réussir à le transcrire joliment et de façon fluide. Le lecteur ne doit pas sentir qu’il s’agit d’une traduction. C’est aussi un gros travail de recherches selon les épisodes/séries. Le traducteur est le premier maillon de la chaîne d’un épisode. Notre travail passe ensuite entre les mains d’un correcteur qui embellit encore plus notre texte, si besoin, et vient l’intervention des doigts de fée de nos amis lettreurs qui vont mettre dans les bulles nos textes traduits et façonner des onomatopées plus travaillées les unes que les autres. Derrière un épisode, qui se lit en cinq ou six minutes, se cachent des heures de travail de la traduction jusqu’au lettrage.

Sur combien de webtoons avez-vous travaillé ?

J’ai traduit 37 séries (dont quelques reprises en cours de publication), parmi elles, j’en ai 11 en cours de traduction.

Pouvez-vous me parler de votre journée type de travail ? Avez-vous une routine ?

Je commence ma journée à 9h30 en relisant les articles Korea.net publiés les jours précédents. Vers 10h30, j’entame mon premier épisode de la journée. Selon la difficulté de la série, je peux passer entre 50 minutes et trois heures sur un épisode. Sur mes séries actuelles, c’est bien une grosse heure minimum s’il n’y a pas de recherches à effectuer. Sur un épisode lourd en recherches, j’approche facilement des trois heures, parfois plus. Je vais traduire non-stop jusqu’à 17h40 environ, quand il est l’heure d’aller chercher mes filles à la crèche et à la maternelle.

La manche rouge © DELITOON/KIDARI

La manche rouge. © DELITOON/KIDARI


Est-ce que vous lisez les commentaires sur les plateformes ?

Malheureusement, les commentaires ne sont pas disponibles sur toutes les plateformes. Sur Delitoon, ça ne concerne que quelques séries. Sur Piccoma, il n’y en a pas du tout. Sur Naver, je lis parfois les derniers commentaires des séries que je suis, mais c’est quand même assez rare. Je suis plutôt ce que disent les lecteurs sur les groupes Facebook des plateformes. Je vois parfois des commentaires sur des séries que je traduis, ça m’amuse et je participe aux échanges sans pour autant dire que je suis la traductrice (rires). J’aime faire planer le mystère.

Préférez-vous lire les histoires sur Internet (téléphone, tablette) ou en version papier ?

Avant je lisais énormément de livres, plusieurs par semaine. À l’ère du numérique, je lis des e-books. Mais l’odeur du papier est bien l’une de mes odeurs préférées. Je me sens apaisée quand j’entre dans une librairie ou chez un simple papetier !

Avez-vous déjà participé à un événement dédié aux webtoons ? Qu'avez-vous pensé de cette expérience ?

Jamais. Les événements auxquels je pourrais participer ont tous lieu en France. C’est compliqué pour moi de prendre l’avion pour un simple événement donc je suis cela via les réseaux sociaux. Un jour peut-être que j’aurais le plaisir de pouvoir enfin participer à l’un d’entre eux.

Daytime Star © NAVER WEBTOON

Daytime Star. © NAVER WEBTOON


Est-ce que vous avez des formations à recommander aux personnes qui souhaitent faire comme vous ?

Je n’ai pas suivi de formation, ma seule formation s’est faite sur le terrain pour parler coréen dans ma vie quotidienne. Pour la traduction de webtoon, j’ai appris sur le tas. Avec de la passion, on s’adapte vite et on apprend énormément. Il suffit d’appliquer tout ce qu’on apprend, à savoir que l’apprentissage est sans fin. On découvre de nouvelles choses tous les jours. Cependant, il existe un institut coréen qui forme aux métiers de la traduction et il y a même une spécialisation webtoon, si je ne me trompe pas : le LTI Korea (Literature Translation Institute of Korea).

Quels sont vos conseils pour les personnes qui voudraient se lancer et se faire une place dans l’univers des webtoons ?

Prospectez, n’hésitez pas à écrire aux plateformes ou aux studios de traduction, qui souvent cherchent aussi des correcteurs et des lettreurs, pour vous lancer. Comme je le disais plus haut, tous les studios ne sont pas mauvais, mais attention, ce ne sont pas les plus connus qui sont les plus respectueux ou rémunérateurs.

Quels sont vos projets pour la suite ?

Continuer ce que je fais et le faire de mieux en mieux. J’espère que ma passion ne faiblira pas. Trois ans de traduction webtoon à temps plein et je suis toujours aussi motivée, donc j’ai bon espoir que ça dure. De plus, je traduis l’adaptation en webtoon de deux webnovels d’un auteur coréen. Un troisième de ses romans vient d’être adapté, en webtoon toujours, donc j’espère obtenir la série quand la licence sera achetée pour une version française ! J’aurai le bonheur d’être la traductrice officielle de ses trois adaptations webtoon ! Je croise très fort les doigts !

Où retrouver Amélie Choi ?

Sur son compte Instagram ou son compte LinkedIn.


Interview réalisée avec Amélie Choi via e-mail et LinkedIn le vendredi 21 juillet 2023.


* Cet article a été rédigé par une journaliste honoraire de Korea.net. Présents partout à travers le monde, nos journalistes honoraires partagent leur passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.

caudouin@korea.kr