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16.08.2023

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Par la journaliste honoraire de Korea.net Dayviana Díaz de Cuba


Le pojagi, ou bojagi, est l'une de mes plus grandes passions pour l'art textile coréen et a inspiré plus d'un de mes articles. Et c'est parce que cette pièce intemporelle elle-même s’insère dans les traditions et la beauté des vêtements traditionnels, même au-delà des frontières de la Corée du Sud.

Ainsi, en entrant dans ce monde à travers les réseaux sociaux, j'ai découvert l'artiste textile française Maryse Allard, 68 ans, résidant à Paris depuis l'âge de 17 ans, et qui depuis plus d'une décennie travaille uniquement à la fabrication d’œuvres en pojagi.

Son travail a attiré mon attention, car elle parvient à évoquer la beauté et l'essence des traditions coréennes dans chacune de ses œuvres, et j'ai donc décidé de l'inviter à nous raconter un peu son histoire et comment elle est devenue l'artiste consacrée qu'elle est aujourd'hui.

Voici des extraits d'une interview réalisée par e-mail entre le 2 et le 26 juillet de cette année.

Les fils et les tissus ont toujours été ma passion depuis mon plus jeune âge grâce à ma grand-mère et ma mère, qui m'ont encouragée à apprendre à les utiliser pour la décoration et le design d'objets. © Maryse Allard

Les fils et les tissus ont toujours été ma passion depuis mon plus jeune âge grâce à ma grand-mère et ma mère, qui m'ont encouragée à apprendre à les utiliser pour la décoration et le design d'objets. © Maryse Allard


Le pojagi est défini comme un tissu d'emballage coréen traditionnel qui est traditionnellement utilisé à la fois dans la vie quotidienne et lors d'événements spéciaux. De plus, c'est aussi une technique d'emballage avec du tissu qui a suscité de l'intérêt avec la popularité croissante de la culture coréenne à travers le monde.

Dayviana Díaz : Comment avez-vous découvert le pojagi ?

Maryse Allard : Dans les années 2000, après avoir eu mes trois enfants, j'ai travaillé pendant dix ans en faisant diverses activités bénévoles dans leurs écoles, pour lesquelles j'ai appris à faire du objets textiles, ce qui m'a amenée à m'initier au patchwork et à l’enseigner dans une grande association près de Paris.

C'était en 2012 et à cette époque j'étais toujours à la recherche de nouvelles idées pour mes élèves.

C'est ainsi que j'ai découvert un livre sur le pojagi de Yansook Choi, une artiste coréenne vivant au Japon, et j'ai été complètement fascinée par le dessin et la transparence de cette technique si traditionnelle et si moderne à la fois.

J'ai tout de suite senti qu'il me fallait essayer d'en apprendre un peu plus, alors j'ai commencé à apprendre par moi-même en autodidacte.

Après cela, ma façon de travailler avec les textiles a complètement changé, lorsque j'ai découvert l'idée de « voir à travers » et de ne pas simplement essayer de positionner les tissus pour créer une pièce.

Un nouveau monde merveilleux s'est ouvert dans mon cœur et dans mes mains, ce qui m'a permis de jouer avec différents tissus et de les regarder « flotter dans les airs ».

Aviez-vous des connaissances sur la culture coréenne avant cette expérience ?

Bien sûr, j'avais entendu parler de la Corée et connaissais un peu son histoire dure et parfois tragique, mais c'était tout.

Mais très tôt, j'ai appris que le pojagi était un art coréen traditionnel, et pas seulement une nouvelle forme de patchwork. Alors j'ai voulu en savoir plus, ce qui n'était pas facile à l'époque car la plupart des documents que j'ai pu trouver n'étaient qu'en coréen.

J'ai réussi à trouver sur Internet deux livres d'expositions en France et en Belgique, Couleurs des Quatre Saisons et Le Royaume Ermite, et j'ai découvert des choses très intéressantes sur la Corée.

Ceci m'a permis d'expliquer à mes élèves d'où venait cet art merveilleux, car dès le début je voulais bien faire comprendre que cet art n'était pas le mien.

Au début, Maryse ne réalise pas la relation forte qui se crée entre l'art du Pojagi et son travail, mais, bien que sa démarche soit timide au début, elle évolue par l'apprentissage de la technique traditionnelle coréenne. © Maryse Allard

Au début, Maryse ne réalise pas la relation forte qui se crée entre l'art du Pojagi et son travail, mais, bien que sa démarche soit timide au début, elle évolue par l'apprentissage de la technique traditionnelle coréenne. © Maryse Allard


À un moment donné, ce passe-temps consistant à apprécier le pojagi s'est transformé en quelque chose de beaucoup plus sérieux.

Pouvez-vous nous parler de vos premières pièces, notamment Plumes ?

Ma première pièce d'artiste était petite, réalisée avec de l'organdi de coton blanc, le seul tissu que j'ai pu trouver qui soit transparent et facile à plier, et qui reste aujourd'hui un travail précieux pour moi, même après tant d'années.

La seconde était Plumes, pour ma première exposition à la Rochelle en 2013, cette fois dans une version beaucoup plus grande et avec laquelle j'ai eu de nombreuses expériences intéressantes, comme la création d'angles et d'inclinaisons, ainsi que l'utilisation de différents tissus, teints et imprimés à la main.

Au début, mon travail était plus proche de l'art coréen traditionnel que maintenant, puisque je pratiquais et essayais juste d'entrer dans cet art.

Afin d'expliquer la technique, j'ai essayé d'en apprendre de plus en plus, et c'est ainsi que le pojagi est devenu pour moi beaucoup plus qu'un simple passe-temps.

Expositions de Maryse dans plusieurs pays européens comme l'Espagne, l'Italie ou la République Tchèque. © Maryse Allard

Expositions de Maryse dans plusieurs pays européens comme l'Espagne, l'Italie ou la République Tchèque. © Maryse Allard


En étudiant votre carrière, vous avez fait découvrir et popularisé cet art coréen à travers des ateliers et des expositions dans divers pays d'Europe. Pourriez-vous partager certains de vos moments les plus mémorables?

En vérité, mes moments les plus mémorables n'ont pas été en Europe, mais en Corée, notamment lorsque Chunghie Lee m'a contactée pour la première fois en 2014 pour me proposer d'envoyer une de mes œuvres au Korean Bojagi Forum.

Au début, je ne parvenais pas à y croire, mais cela m'a beaucoup ému qu'en tant qu’étrangère, je puisse, grâce à cette expérience, représenter la France et être acceptée en tant qu'artiste par des exposants reconnus de la discipline en Corée. Je n'oublierai jamais ce moment !

J'ai ressenti la même chose lorsque j'ai également été invitée, avec quatre autres artistes étrangères, à une exposition « solo » à Séoul en 2018.

Et récemment, en mai dernier, Chunghie Lee m'a de nouveau invitée au Korea Bojagi Forum à Séoul, où j'ai eu ensuite l'occasion de participer à une résidence d'artiste à Jinju, la ville de la soie. C'était comme un rêve devenu réalité et je me souviens de cette expérience comme quelque chose de merveilleux et d'incroyable.

Belle union de deux techniques textiles anciennes qui représentent la France et la Corée, le boutis et le pojagi. © Maryse Allard

Belle union de deux techniques textiles anciennes qui représentent la France et la Corée, le boutis et le pojagi. © Maryse Allard


Votre premier livre, Boutis de France, quel rapport a-t-il avec le pojagi ? Que représentait-il pour vous à cette époque ?

Avant de découvrir le pojagi, j'ai rencontré mon ami Hubert Valeri, qui fabriquait des boutis modernes, aussi appelés « broderie marseillaise », un art traditionnel de Provence, dans le sud de la France, créé vers le 17e ou 18e siècle à partir de fine toile de batiste blanche.

Mon ami m'a demandé de faire du pojagi autour de son travail, car les deux arts allaient très bien ensemble. Grâce à cela mes œuvres sont devenues différentes, plus modernes et personnelles.

Nous avons réalisé ensemble ce livre sur nos deux techniques, la broderie marseillaise et le pojagi, pour le présenter aux Rencontres Européennes du Patchwork en Alsace en 2015.

Après cette expérience, de plus en plus de personnes m'ont demandé des ateliers de pojagi et j'ai pu ainsi le rendre beaucoup plus connu en Europe.

Pour Maryse, le pojagi n'est pas une obsession, mais juste un plaisir et un moyen d'entretenir sa curiosité en gardant les yeux grands ouverts pour continuer à apprendre après toutes ces années. © Maryse Allard

Pour Maryse, le pojagi n'est pas une obsession, mais juste un plaisir et un moyen d'entretenir sa curiosité en gardant les yeux grands ouverts pour continuer à apprendre après toutes ces années. © Maryse Allard


En 2016, vous avez écrit un autre livre, intitulé Le Pojagi - Art du patchwork coréen. En quoi celui-ci était-il différent ?

Pour mon deuxième livre, l'expérience a été différente, car cette fois un éditeur est venu me rendre visite lors d'une de mes expositions en France et m'a demandé de faire un livre en français sur uniquement sur le pojagi.

La préparation de ce livre fût vraiment un défi, car j'ai dû faire des travaux avec différentes mises en page, niveaux de difficultés et couleurs.

J'ai de nouveau fait beaucoup de recherches sur l'histoire des pojagis et j'ai trouvé beaucoup d'informations sur l'histoire de la Corée et de ses femmes, en particulier sur leur vie et leur travail.

Je voulais que les lecteurs soient bien informés avec mon livre, car il ne s'agissait pas seulement d'artisanat, mais de l'art coréen lui-même.

J'ai réalisé que j'étais comme un « pont » entre nos deux pays et comme je n'étais jamais allé en Corée auparavant, il fallait que ce soit aussi légitime que possible.

C'est ainsi que j'ai beaucoup appris en faisant ce livre et comme je ne voulais pas copier aucun pojagi traditionnel, j'ai dû en créer beaucoup pour ce livre.

Ce que Maryse apprécie le plus dans l'art traditionnel sur lequel elle travaille, c'est qu'il ne s'agit pas seulement de pièces de musée, mais qu'elles font partie de la vie de tous les jours. © Maryse Allard

Ce que Maryse apprécie le plus dans l'art traditionnel sur lequel elle travaille, c'est qu'il ne s'agit pas seulement de pièces de musée, mais qu'elles font partie de la vie de tous les jours. © Maryse Allard


Pour en revenir à votre expérience avec la culture coréenne, comment s'est passée votre première visite en Corée après tout votre succès en Occident ?

Ma première visite en Corée a eu lieu en octobre 2017 avec l'artiste et amie Youngmin Lee, qui a organisé le premier Korean Textile Tour.

Pour moi il était nécessaire, vraiment nécessaire, d'aller en Corée ! J'avais envie de découvrir ce pays dont je rêvais et je m’y suis tout de suite sentie très à l'aise.

Je voulais visiter et « absorber » autant que possible, ce fut donc une expérience merveilleuse.

Je ne parvenais pas croire que le pojagi était si présent dans la vie de tous les jours, sur les rideaux des restaurants, dans les magasins et pas seulement dans les expositions. Je me sentais tellement à l'aise dans ma passion !

Bien sûr, j'ai visité le musée folklorique national de Corée, à Séoul, et j'ai pu apprendre davantage sur les modes de vie traditionnels.

J'avais lu beaucoup dans les livres, mais j'ai appris davantage en visitant des musées et en me promenant dans Insadong ou Bukchon Hanok Village.

L'autre expérience incroyable a été le marché de Dongdaemun ! Voir autant de tissus, de moshi, de soie et de lin était bouleversant. Et bien sûr, je suis rentrée avec plein de mètres de beaux tissus colorés.

Le travail de l'artiste textile, qui évoque l'art traditionnel coréen, s'inspire également de l'art européen des XIXe et XXe siècles, comme le Bauhaus, l'Art Déco, entre autres. © Maryse Allard, licence Wikipédia Commons

Le travail de l'artiste textile, qui évoque l'art traditionnel coréen, s'inspire également de l'art européen des XIXe et XXe siècles, comme le Bauhaus, l'Art Déco, entre autres. © Maryse Allard, licence Wikipédia Commons


Vous avez mentionné que le pojagi est un art à la fois traditionnel et moderne, alors d'où tirez-vous votre inspiration ?

Le pojagi est comme un trésor national à mes yeux et je m'en suis rendu compte lors de ma première visite dans les musées de Séoul.

Lors de ma visite, j'ai été heureuse de voir d’anciens pojagis et de réaliser que ce que j'avais enseigné pendant tant d'années en Europe était vrai.

Mais mon objectif fondamental n'était pas de copier ! Grâce à cette approche j'ai découvert beaucoup d'artistes ou d'architectes qui sont mon inspiration.

J'ai toujours été passionnée par l'Art Déco, la période Bauhaus, j'ai donc été impressionnée par la modernité des pojagis, certains proches des tableaux de Piet Mondrian et Sonia Delaunay.

Parmi mes sources d'inspiration figurent l'architecte japonais Tadao Ando, la géométrie et l'abstraction de peintres comme Josef Albers et sa femme Anni Albers, ou plus récemment d'artistes comme Wassily Kandinsky et Joan Miró.

En visitant la Corée, j'ai découvert des modèles de vêtements, des bâtiments et des peintures qui m'ont donné des idées, notamment sur le design et l'élégance des pièces.

Lors de son dernier voyage en Corée, Maryse a pu découvrir à quel point les artistes textiles sont ouverts à expérimenter et à incorporer des éléments externes dans la technique, ainsi qu'à enseigner au public étranger diverses traditions afin de diffuser d'autres façons de faire des pojagis. © Maryse Allard

Lors de son dernier voyage en Corée, Maryse a pu découvrir à quel point les artistes textiles sont ouverts à expérimenter et à incorporer des éléments externes dans la technique, ainsi qu'à enseigner au public étranger diverses traditions afin de diffuser d'autres façons de faire des pojagis. © Maryse Allard


Après toutes ces années d'apprentissage et de partage de vos connaissances avec le monde, vous continuez toujours à enseigner votre art. Pourquoi est-il si important pour vous de préserver le pojagi de votre point de vue d'artiste étrangère ?

Enseigner est vraiment un grand plaisir pour moi, même après tant d'années, parfois je me dis que j'aurais pu être enseignante par vocation.

J'aime apprendre et partager cet art extraordinaire et cela me rend très heureuse quand je vois des gens apprécier et créer de nouvelles œuvres.

Mon opinion est que plus nous répandrons le pojagi, plus il sera vivant et célèbre.

Chacune de nous a des matières, une histoire, des inspirations, des sensibilités différentes, et bien sûr nous fabriquons des pojagis différents de ceux fabriqués en Corée, où la tradition est si forte et si belle.

Je pense qu'il est très important de la préserver à travers le monde, car il l'enrichit et le rapproche de notre vie actuelle.

Grâce à cela, nous continuerons à être curieuses du pojagi traditionnel que nous voyons dans les musées.

Si on garde l'esprit ouvert, je suis sûr que le pojagi continuera à être vivant, il évoluera et sera encore plus présent.

La plus grande fierté de Maryse est l'admiration que lui portent les artistes coréennes, telles que Chunghie Lee et Youngmin Lee, pour son travail, la reconnaissant comme un lien culturel fort entre la France et la Corée. © Maryse Allard

La plus grande fierté de Maryse est l'admiration que lui portent les artistes coréennes, telles que Chunghie Lee et Youngmin Lee, pour son travail, la reconnaissant comme un lien culturel fort entre la France et la Corée. © Maryse Allard


Pour conclure, étant une artiste occidentale à succès, après toutes ces années, qu'est-ce que le pojagi a apporté dans votre vie ? Comment aimeriez-vous qu'on se souvienne de vous, en particulier de la part des Coréennes ?

Quand j'ai commencé à travailler sur le pojagi, je n'aurais jamais pu imaginer jusqu'où je pourrais aller, les gens que je pourrais rencontrer et les riches expériences que je pourrais vivre.

Certaines de ces personnes, en particulier les artistes coréennes, font aujourd'hui partie de ma « famille ». Je me sens si heureuse d'être acceptée et reconnue par elles !

Le pojagi m'a donné l'opportunité d'en savoir plus sur la culture, l'histoire et les traditions coréennes, en particulier sur la vie des femmes. C'est pourquoi je découvre et lis maintenant plus de livres et de romans écrits par des écrivains coréens.

Je pense que je suis devenue une meilleure artiste grâce à ma curiosité, aux gens magnifiques que j'ai rencontrés, et l'un de mes traits essentiels, c’est d’être très respectueuse par rapport à cet art traditionnel.

J'aime aussi les défis, c'est pourquoi j'expérimente toujours de nouvelles façons de travailler, comme différents matériaux et formes, des tissus que je teins, incorporant du pop art dans mes pièces et toujours très heureuse d'essayer quelque chose de nouveau ou de différent.


Après avoir travaillé dur pendant une grande partie de sa vie pour les vêtements textiles, ce fut un véritable honneur pour une journaliste honoraire de faire partie de cette aventure, de rencontrer et d'interviewer cette talentueuse artiste pojagi, qui cultive la tradition coréenne depuis le cœur de la France.

Si vous avez été aussi captivé par son travail que moi, vous pouvez consulter sa page Facebook, son compte Instagram, son site Internet ou bien la rencontrer lors de ses prochaines expositions au Festival of Quilts à Birmingham, Royaume-Uni, du 3 au 6 août, à l'exposition Bojagi Journey au Pacific Northwest Quilt and Fiber Art Museum à La Conner, WA, USA, du 26 juillet au 8 octobre, et si vous habitez en France, vous pourrez voir ses pièces dans l'exposition organisée par la Quilt Association en Vendée.


* Cet article a été rédigé par une journaliste honoraire de Korea.net. Présents partout à travers le monde, nos journalistes honoraires partagent leur passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.

caudouin@korea.kr