Journalistes honoraires

12.09.2023

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Par la journaliste honoraire de Korea.net Nathalie Fisz de France

Aloïs âgé de 10 ans.

Aloïs âgé de 10 ans. © Aloïs


J’ai connu Aloïs à l’occasion des visio apéros de Racines Coréennes. Ce rendez-vous chaleureux permet à chacun, qu’il soit à Paris, en province, ou à l’étranger, de discuter en ligne.

Un jeune participant avait attiré notre attention. Il prenait la parole d’une voix posée en exposant son point de vue avisé, du haut de ses 23 ans. Aloïs a aussi un parcours « peu ordinaire ». Fils d’un coréen adopté, il a son avis sur cette culture qui fait partie de son histoire. Il se consacre pleinement à ses cours, sa thèse, ainsi qu’à la pratique d’un sport à haut niveau.

Il a accepté de répondre à mes questions entre août et septembre de cette année, au fil de nos rencontres.

Les mots d’Aloïs

Nathalie Fisz : As-tu été informé de recherches de ton papa sur ses parents biologiques ?

Aloïs : Mon père est mort il y a des années et je ne l’ai pas connu.

Quel aurait été son ressenti au sujet de son expérience ?

Je citerais Pablo Neruda. « Le déracinement pour l’être humain est une frustration qui, d’une manière ou d’une autre, atrophie la clarté de son âme. »

Aloïs aujourd'hui.

Aloïs aujourd'hui. © Aloïs


Quel est ton métier actuel ? Quelles sont tes activités extra-professionnelles ?

J’ai 23 ans et prépare une thèse sur la publicité. Je donne des cours à l’université en sciences et communication. Parallèlement, je suis un athlète professionnel en calisthenics (discipline d’acrobaties et de force).

Depuis quand t’intéresses-tu à la culture coréenne ?

Je ne m’y intéresse pas vraiment en réalité. Je m’intéresse à l’histoire individuelle des adoptés par le biais de Racines Coréennes. Pour moi, la culture coréenne est quelque chose de lointain. Lorsqu’on est métis, on se retrouve malgré soi dans un indépassable entre deux, où la culture devient quelque chose de relatif, à laquelle on ne s’identifie jamais à 100 %. Notre rapport à la culture est redéfini par rapport à notre propre posture, à la fois comme celui qui y appartient, et n’y appartient pas. La question d’une responsabilité à s’y conformer ou au moins à la connaître ne va pas toujours de soi.

En France, je suis souvent « le chinois » pour des raisons physiques. En Corée, je serais « honhyeol » (terme coréen désignant les métis coréens ou extracoréens, littéralement « sang mêlé »). Je peux aussi appartenir aux « K-lost » (coréens perdus, adoptés et descendants), ou aux « wasians » (contraction de white et asian). Chaque culture n’a pas le même rapport au métissage, et les métis ne peuvent pas avoir le même rapport à chacune de leurs cultures. En France, la citoyenneté passe par l’adhésion aux valeurs républicaines. Une personne asiatique est souvent rangée dans une unique catégorie ce qui est réducteur.

Les termes « honhyeol »et « K-Lost » en disent long sur le rapport des coréens au métissage. Le terme « K-Lost », dans la lignée des K-pop, K-drama, K-food, K-fashion est plus réducteur et ambigu. C’est un centrisme qui prend la Corée comme point de référence. Celui qui s’en éloigne est perdu, « lost », mais tout de même appartenant à l’identité coréenne (K comme Korean, coréen par le sang). D’autres dérivés existent comme « blasian » (black + asian) et « blwasian » (black + white + asian »). Ils en disent long sur la manière dont une société se perçoit et perçoit l’autre.

Les mots ne sont pas anodins et portent en eux une certaine conception de l’appartenance. Le premier rapport à la culture qu’on a est celle des mots que ces cultures emploient à notre égard, qu’elle soit française, coréenne ou plus globale. Le regard de l’Occident sur la Corée est neuf, fasciné et idéaliste et repose en partie sur une image produite par l’industrie culturelle. Certains Coréens pensent la France à travers les clichés de la baguette de pain.

La culture a certes quelque chose de collectif, mais se vit individuellement dans sa chair, dans son rapport à son lieu de vie, sa famille, son éducation et surtout son histoire. La culture c’est aussi ce qui donne un certain pourquoi à qui nous sommes. Si je veux comprendre mon lien à la culture coréenne, il faut que je me tourne vers ce qu’elle a eu de surdéterminant dans mon histoire familiale, qui reste non élucidée. La culture coréenne est moins rose et intrinsèquement liée aux circonstances historiques ayant mené à ce que mon père soit abandonné et envoyé si loin de son pays. La culture coréenne à laquelle je suis relié, n’est pas, sans les critiquer, ni BTS, ni Samsung, ni Squid Game.

C’est celle des années 1960, où les femmes étaient contraintes d’abandonner les enfants nés hors mariages, un pays plongé dans la pauvreté extrême, où les familles meurent de faim, où certaines femmes forcées de se prostituer sont enceintes à seize ans. C’est un pays ravagé par les bombardements de 1950 à 1953. C’est un lieu meurtri dont les « ajumma » portent encore les traumas dans une mémoire souvent refoulée. Tous ces événements ont constitué cette période très sombre, encore tabou là-bas. Cette Corée fait partie de mon passif et a fait que je suis là. C’est par celle-ci que j’y suis lié (ou non plus lié) par mon père, par la trajectoire tragique de sa vie qui a mené à la mienne. À défaut d’être lié à une « culture coréenne », je suis liée à son histoire qui a été surdéterminante dans la culture. Ce pays, même en se montrant extrêmement résilient, porte en lui cette réalité douloureuse. L’histoire de mon père est tout aussi tragique que celle de l’époque qui l’a vu naître.

Es-tu prêt à connaître des aspects historiques moins connus de la Corée ?

Je suis prêt à tout connaître.

Es-tu déjà parti en Corée ? As-tu des amis coréens ?

Je ne suis jamais parti en Corée. J’ai quelques amis coréens sur les réseaux sociaux et Hana Kang qui travaille entre Paris et Séoul.

Quelle est la perception que tes amis coréens ont de toi ? Double culture ? Plus français ? Plus coréen ?

Il est difficile pour eux de saisir la complexité des nœuds dans nos racines. Je suis lié à une période qui constitue un pan tabou de l’histoire de la Corée, dont les dernières générations n’ont peut-être pas vraiment conscience. L’héritage culturel invisible censé se trouver derrière l’héritage génétique visible est souvent manquant, ou partiellement reconstruit dans une trajectoire ascendante de réenracinement, ce qui est contraire à ce à quoi on s’attend « dans l’ordre des choses ». Un sentiment de fierté se mêle à une certaine curiosité chez mes amis coréens qui aiment me parler de leur univers. Le fait que j’y appartienne de manière partielle ou lointaine, est pour eux un très bon prétexte pour me le faire découvrir. Souvent les Coréens veulent connaître le pourquoi du background qui a fait que je suis « sang mêlé » et sont curieux de comprendre les circonstances. Ceci est valable aussi pour mes amis français, même si parfois on a plus de réserve à en parler.

Tu es mélangé, métis, mais ton père coréen ne t’a rien transmis ?

Non, lui-même a été amputé de cette culture, déraciné de son pays, de sa famille, de ses parents. J’ai été orphelin de ce père. L’histoire s’est répétée à deux reprises comme deux ruptures dans le fil rouge censé m’y relier. Cette fatalité du « non lien », a finalement été mon seul lien avec la Corée et mon père.

La Corée s’exprime en moi physiquement dans mes traits. Paradoxalement elle s’exprime aussi dans le fait qu’elle n’est pas là où on attend qu’elle soit, dans son inexistence en tant qu’héritage culturel, dans son non lieu, sa non présence, en tant que chose transmise. Cette non existence est pourtant une manifestation criante de son existence, puisqu’elle est le produit direct de certaines circonstances au niveau de son histoire et de ce qu’elle a produit en dehors d’elle-même.

La Corée est très en vogue. Ton parcours est-il attractif pour tes amis en France ?

S’ils s’arrêtent au cliché et au phénomène de mode, ce ne sont pas de vrais amis, mais des admirateurs ponctuels. C’est plus complexe. Les stéréotypes ont leurs fonctions et parfois ils sont nécessaires. Ce sont des portes d’entrée pour accéder à une compréhension de l’autre qui dépasse le fantasme qu’on y projette et en cela, ils peuvent s’avérer utiles.

Les fans de K-pop ou de K-dramas sont des personnes curieuses. C’est une bonne chose qu’elles s’abreuvent d’une culture différente, même si l’image qu’elles finissent par avoir de la Corée est en partie construite et fantasmée. Je les encourage à s’y intéresser vraiment. Peut-être qu’en s’y plongeait réellement, elles finiront par saisir l’ADN culturel de la Corée et elles finiront par m’en apprendre sur mon propre pays d’origine. C’est déjà le cas aujourd’hui.

Que penses-tu de cette Hallyu qui touche toutes les générations ?

L’ampleur de la vague Hallyu est à la mesure du potentiel culturel de ses contenus. C’est quelque chose qu’il ne faut pas sous-estimer et qui a su à la fois devenir un phénomène mondial en perçant les multiples barrières culturelles tout en sachant se démarquer, et garder une certaine identité et intégrité. La vague a traversé l’Europe et le Pacifique. C’est un soft-power qui n’a pas laissé indifférent le reste du monde. La culture américaine des Blockbusters et de la musique est riche, mais l’arrivée de la K-pop et des dramas vient diversifier cet unique avant-goût très américanisé de l’industrie culturelle de masse. L’engouement de certaines personnes pour ces univers-là semble parfois démesuré. Elles doivent y trouver quelque chose qu’elles ne trouvent pas ailleurs. Cela mérite qu’on s’y intéresse.

Aloïs dans sa pratique du calisthenics.

Aloïs dans sa pratique du calisthenics. © Aloïs


Parle-nous de ton sport.

Je pratique depuis mes 13 ans, le street-workout, ou calisthenics (du grec kallos-sthenos, signifiant littéralement la beauté de la force). J’ai commencé au collège en m’entrainant avec ce qui était à ma portée, voulant devenir plus fort. En arrivant à Nice à 16 ans pour mes études, j’ai intégré la team « Outsiderz » spécialisée dans la branche de la force et du statique de ce sport. À partir de 2019, je me suis spécialisé dans les éléments d’équilibre.

J’ai commencé à partager du contenu vidéo sur les réseaux sociaux. Ma communauté a grandi. J’ai alors recherché davantage de créativité et développé mon propre univers esthétique. Le fait d’inspirer les autres est une manière pour moi de rendre une certaine justice. C’est une gratitude de contribuer à changer la vie de certains, comme le sport a changé la mienne.

Je m’entraine tous les jours ou cela est possible, et selon la météo. Je suis un athlète solitaire, mais avec le temps je me suis fait beaucoup d’amis sur les lieux où je pratique, et sur les réseaux sociaux. Mon équipe « Outsiderz » est une team française et nous sommes reliés par un état d’esprit commun. Le street-workout est une discipline qui comme son nom le suggère reste en marge de tout cadre, mais il existe une culture ou des cultures du street-workout. Je suis aujourd’hui un athlète professionnel et ai participé à 14 compétitions ces sept dernières années. Je reviens l’année prochaine avec des éléments jamais vus en compétition.

Aloïs dans sa pratique du calisthenics.

Aloïs dans sa pratique du calisthenics. © Aloïs


Est-ce que Racines Coréennes te permet d’exprimer ta part coréenne ?

Ai-je vraiment une part coréenne ? Là fut déjà la première question. L’association m’a donné l’occasion d’y réfléchir, sans forcément que j’y apporte une réponse définitive et figée.

De quoi est faite cette part ?

Là aussi, question majeure, l’association a été un lieu de réflexion autour de celle-ci. Ce qui s’exprime avant tout, ce sont des questionnements plutôt qu’une « part coréenne » à part entière. En se questionnant sur la Corée on finit par se questionner sur soi-même et en se questionnant sur soi-même, on finit par se tourner vers la Corée.

Aloïs lors d'un pique-nique avec Racines Coréennes.

Aloïs lors d'un pique-nique avec Racines Coréennes. © Aloïs


Quelques mots encore

C’est ainsi qu’Aloïs, qui se dit plutôt solitaire, a accepté de répondre à mes questions pourtant personnelles, avec patience. Lui qui a été de fait privé d’une partie de son histoire familiale et d’un pan de sa culture, a recréé un autre univers grâce à la pratique à haut niveau de son sport. Pas d’amertume chez Aloïs, mais de la gratitude, de la générosité et sans doute avec pudeur, un peu de son cœur.

Retrouvez Aloïs sur son compte Instagram.


* Cet article a été rédigé par une journaliste honoraire de Korea.net. Présents partout à travers le monde, nos journalistes honoraires partagent leur passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.

caudouin@korea.kr