David Mason devant Ilwolobongdo, à Séoul, en 2023. © David A. Mason
Par la journaliste honoraire de Korea.net Nathalie Fisz
Après avoir été nommée journaliste honoraire en 2020, j’ai rejoint des groupes consacrés à la Corée. Certains auteurs de publications, étaient pour moi des puits de savoir.
Je remarquais les publications consacrées au bouddhisme, chamanisme et celles faisant référence au Sanshin. Que signifiait Sanshin ? Qui était David Mason, à l’origine de nombreuses publications ?
Un jour avec un enthousiasme maladroit, j’ai partagé plusieurs publications d’affilée dans le même groupe. Le professeur David Alan Mason, de son nom complet, l’a remarqué et ne m’en a pas tenu rigueur pour autant.
Lorsque j’étais à Gyeongju, David Mason a indiqué qu’il s’était rendu à cet endroit quelques jours auparavant. J’ai raté sa venue.
De retour à Paris, j’ai découvert son incroyable parcours, son expérience, en tant que professeur, mais également en tant qu’expert respecté et reconnu en Corée.
Le professeur Mason est expert de la chaîne de montagnes Baekdu-daegan (chaîne de montagnes qui s’étend sur toute la péninsule coréenne), et des parcs nationaux.
J’ai pris mon courage à deux mains, et lui ai demandé s’il accepterait de participer à un article. Il a accepté. J’entre dans une dimension plus spirituelle de ma connaissance de la culture coréenne, que je dois au professeur Mason.
Partons à sa rencontre !
Il est impossible de présenter toutes les activités du professeur Mason en un article. Diplômé en 1997 en « histoire des religions coréennes » de l’Université Yonsei (Séoul), il a enseigné à l’université Kyung Hee, et au ministère de la Culture, et du Tourisme, et à l’institut Sejong. Il est guide touristique, et conférencier sur les religions des montagnes, la culture et le tourisme. Il a été conférencier de la prestigieuse Royal Asiatic Society et est régulièrement présent dans les médias et programmes de radio, tels que l’émission d' Arirang TV Heart to Heart.
La liste est si longue que j’ai préféré une interview.
Au temple Woljeongsa, au mont Odaesan, en août 1986. © David A. Mason
Nathalie Fisz : Vous êtes natif du Michigan, une région réputée pour son industrie automobile. Telle n'était pas votre vocation. Que recherchiez-vous ?
David A. Mason : Adolescent en Amérique, je suis tombé amoureux des hautes montagnes escarpées, et des traditions spirituelles d’Asie de l’Est. Peu après mon arrivée en Corée, j’ai découvert cette figure du Sanshin (esprit de la montagne), qui symbolise les deux réunies. Tout est question de santé saine, de vie en harmonie avec la nature.
J’avais trouvé une « divinité » correspondant parfaitement à mes aspirations. Je continuais à voyager et à tomber amoureux des aspects les plus anciens de la Corée. J’ai réalisé que ces aspects se trouvaient au centre de ce que nous pourrions considérer comme « la toile d’araignée de la spiritualité coréenne traditionnelle ».
Tout y était lié. La racine de l’identité ethnique coréenne, le mythe de Dan-gun et Gojoseon*. Les Coréens sont un groupe ethnique (le 11e plus grand au monde), certains estiment être fils de Dan-gun, ce qui leur donne un sentiment d’affinité et d’unité.
*Gojoseon est le plus ancien royaume de l'histoire de la Corée.
Une des représentations favorite du Professeur Mason. Ancien Sanshin à TaenghwaJiri-san Hwaeom-sa. © David A. Mason
Mon mentor, le docteur Zo Za-yong, grand chercheur et conservateur de la culture populaire coréenne, m’a initié à la profondeur des significations de Sanshin, fin des années 1980. Le docteur Zo m’avait chargé de trouver le meilleur travail universitaire coréen consacré à Sanshin, et de le traduire en anglais. Nous avons découvert que cela n’avait jamais été fait auparavant. Il m’a demandé de l’écrire en partant de zéro.
J’avais une curiosité de longue date, concernant la raison pour laquelle le Sanshin chamanique / taoïste était presque toujours présent dans les temples bouddhistes coréens. Je l’ai transformée en sujet de thèse de maîtrise à l’Université Yonsei en 1996. J’ai élargi mon sujet dans mon volume de 1999, qui a reçu le prix de « livre de langue étrangère de l’année » par l’Académie coréenne des sciences. (KAST-Séoul).
Juste après le décès du docteur Zo, mon travail a été traduit en édition coréenne, devenant ainsi le premier dans les deux langues. Il est toujours ouvrage de référence. 25 ans plus tard il est grand temps de mettre à jour la 2e édition élargie !
Mes recherches sur Sanshin n’ont jamais cessé, même si j’ai écrit des livres consacrés à d’autres sujets spirituels coréens. Le sujet est encore très important pour moi. Je poste et analyse de nouvelles « conclusions » sur Sanshin, sur Facebook chaque semaine.
Danse à l'occasion d'un festival consacré à Sanshin en 1998. © David A. Mason
Votre nation est réputée pour ses grands espaces et parcs naturels qui n’ont pas réussi à vous retenir ? Aviez-vous des amis asiatiques ?
Chez moi, je n’ai jamais rencontré d’ami asiatique et étais insatisfait de la situation « monoculturelle » de mon pays. Je voulais voir le reste du monde. La Chine et l’Asie du Sud ont le plus attiré mon attention à 17 ans au lycée. J’ai étudié les traditions amérindiennes pendant que j’étais à l’université, elles formaient comme une « intersection » avec ce que je comprenais du taoïsme chinois.
Comment avez-vous trouvé la Corée la première fois en 1982 ? La vague « Hallyu » avait-elle commencé ?
La République de Corée était comme un pays « paria » à l’époque en raison de la dictature, et il n’y avait presque pas de touristes, sauf des Japonais. Il y avait peu d’Occidentaux, hormis l’armée américaine et quelques hommes d’affaires. Je me suis associé avec des Coréens. La culture coréenne était presque entièrement inconnue à l’extérieur du pays, pas même ses plus grands trésors nationaux. La Hallyu n’a commencé qu’à la fin des années 1990.
Qu’est-ce qui vous a totalement convaincu de vivre en Corée ?
Je suis arrivé en Corée la première fois en juillet 1982, et y suis resté un an. En janvier 1983, j’ai écrit un article pour le Korea Times consacré à trois grands temples situés au sud. Je suis retourné en Californie du Nord pendant un peu plus de deux ans, puis suis retourné en Corée en janvier 1986. Mon séjour temporaire est devenu permanent. Je suis revenu car tout ce que j’ai vécu la première année avait été tellement incroyable, que je voulais effectuer des recherches plus approfondies.
Comment s’effectuent vos recherches sur les religions ? Quelles sont les croyances spécifiques à la Corée et celles des grandes villes ?
J’ai étudié tout cela, y compris le christianisme coréen. Je lis des textes, fais beaucoup de travail sur le terrain et visite les sites sacrés. Le chamanisme est la spiritualité indigène de la Corée. En Chine, le chamanisme autochtone s’est organisé en une religion avec superposition de philosophie et pratiques de yoga, devenant le taoïsme.
Au Japon, le chamanisme s’est organisé en shinto, une religion soutenue par l’État. En Corée, le chamanisme ne s’est tout simplement jamais organisé en religion et a été réprimée par les autorités pendant 600 ans.
Le taoïsme importé de Chine n’est jamais devenu une religion officielle. Ses œuvres d’art, ses attitudes et ses pratiques ont été absorbées dans le bouddhisme coréen et dans le néo-confucianisme. Dans les villes il y a 30 % de christianisme, 20 % de bouddhisme, et beaucoup de cultes. Environ la moitié de la population n’est pas rattachée à une religion, mais la plupart des citoyens me semblent avoir des croyances spirituelles.
Comment sont transmises les traditions dans les montagnes et villages ? Sanshin a-t-il un rôle parmi les humains ?
Seulement en enseignant et en pratiquant depuis les générations précédentes jusqu’aux plus jeunes, tout au long des siècles. Ces esprits de la montagne sont certainement considérés comme gardiens et protecteurs. Le Sanshin n’est pas seulement « une vieille superstition » comme la plupart des gens modernes le croient. Il incarne un symbole de la relation entre l’humanité et la montagne. Le Sanshin est psychologiquement pertinent comme une sorte *d’archétype jungien.
Le Sanshin sert aussi très bien de symbole pour le mouvement moderne d’écologie-préservation, auquel j’ai toujours été profondément engagé, comme une figure de type Gaia*. En randonnée en Corée, certains évoquent et même très fort, l’esprit de la montagne et pour d’autres moins, voire pas du tout. Cela est très individuel, et dépend des croyances et du ressenti de chacun.
NB : Jung psychiatre suisse a élaboré le concept d’archétype, processus psychique fondateur des cultures humaines. « Gaia » dans la mythologie grecque est une Déesse mère.
Grand Sanshin Taenghwa « moderne ». © David A. Mason
La Hallyu peut-elle coexister avec la spiritualité ?
La Hallyu semblait au départ n'avoir aucun point commun avec la spiritualité. Il s’agissait de K-Dramas présentant des histoires d'amour, et de la musique pop. La vague coréenne présente désormais des références significatives aux spiritualités anciennes. Tel est le cas pour le film à succès actuel
Exhuma. Cela est positif. J’aimerais mener des enquêtes approfondies sur le bouddhisme coréen et le taoïsme dans la culture populaire, et ne pas considérer le chamanisme comme un simple pan d'histoires d'horreur.
Que doit savoir un Occidental pour réussir en Corée ?
Être respectueux des coutumes locales. Il doit savoir négocier, surmonter tous les aspects difficiles du travail et des affaires en Corée, pour s’éviter des catastrophes dans sa carrière. La vie en ville est assez stressante, il faut sortir à la montagne le week-end, profiter de la nature et prendre l’air.
Qu’est-ce que la Royal Asiatic Society ?
La Royal Asiatic Society - Korea Branch (RAS-KB, raskb.com) est la principale association de ceux qui étudient la Corée en langue anglaise depuis 1900, date à laquelle elle a été autorisée par l’empereur Gwangmu (roi Gojong). C’est une très bonne association, et j’ai toujours pensé que c’était mon gang local. J’ai fait partie du conseil d’administration, et donné un grand nombre de conférences.
Comment êtes-vous devenu rédacteur pour l’Ordre bouddhiste Jogye ?
J’étais impliqué dans le bouddhisme coréen depuis 1988, et il n’y avait pas beaucoup d’étrangers instruits sur le sujet, et disponibles à l’époque. Ils avaient besoin d’aide pour leurs travaux en anglais. Des amis m’ont présenté et j’ai commencé à éditer et à écrire.
J’ai participé à la création du programme Temple Stay lorsque je travaillais pour le ministère de la Culture et du Tourisme en 2001, et 2004. J’ai également écrit l’Encyclopédie du bouddhisme coréen de 650 pages en 2011, et suis très fier de ces réalisations.
Qu’est-ce qui vous a impressionné chez vos étudiants coréens ?
J'ai vraiment aimé être enseignant et avoir cette interaction avec les jeunes pendant quatre décennies. J'étais impressionné par leur nationalisme dévoué, leurs fortes ambitions et leur dévouement à l'éducation. Certains travaillaient dur et d’autres étaient moins acharnées, mais la plupart étaient très agréables à fréquenter dans mes cours.
Vous avez dit que le jour où vous ne pourrez plus venir dans les montagnes, elles vous manqueront beaucoup. Pourriez-vous vous consacrer à une autre nation ?
Non, je serai trop âgé.
Heureux dans les montagnes en buvant l'eau minérale au mont Shikjang-san à Daejeon en 2023. © David A. Mason
Quelques mots encore
Outre son parcours, j’ai été impressionnée par le sens de l’observation et l’humour du professeur Mason. À Jeju, il a remarqué tout de suite dans le hall de son hôtel un Cat Bodhisattva, peinture folklorique pour les amoureux des chats, qu'il a postée. J’espère revenir en Corée et me promener en montagne. Je penserai alors au Sanshin et surtout à l’enseignement du professeur Mason.
Toutes les actualités du professeur David Mason sont à trouver sur son site Internet :
https://www.san-shin.org/David.html.
* Présents partout à travers le monde, les journalistes honoraires de Korea.net ont pour mission de faire connaître et partager leur passion de la Corée et de la culture coréenne au plus grand nombre.
caudouin©korea.kr