Par Nicole Bergeaud
Paris a récemment accueilli un événement majeur dans le secteur du vin et des spiritueux, rassemblant plus de 5 000 exposants et 50 000 visiteurs professionnels, dont 45 % venus de l’international. Pour la première fois, la Corée a participé à Wine Paris à l’initiative de l’agence gouvernementale aT Center Paris (Korea Agro-Fisheries & Food Trade Corporation).
La Master Class au Speakeasy de Wine Paris - Mmes Ahn Kwangsoon & Nam Sanghui - directrice de l’aT center Paris.sur le stand coréen. © Wine Paris, aT Center Paris, Nicole Bergeaud
La Corée a bien plus à offrir que le soju, ses trésors sont encore méconnus à l'étranger
« Ce salon représente une première étape pour aider les distributeurs et importateurs coréens à trouver les bons partenaires. L'objectif étant que les consommateurs européens découvrent bientôt la richesse et la diversité des alcools traditionnels coréens. En Corée, les jeunes générations s'y intéressent de plus en plus ainsi qu’à la préservation des recettes artisanales. Basées sur la philosophie de l'apprentissage et de la transmission des savoir-faire des anciens artisans, elles combinent une variété d'ingrédients avec des techniques de brassage et de distillation pour présenter de nouveaux produits magnifiques » m’a confié Mme Nam Sanghui, directrice de l’aT center Paris.
Dans cette optique, quatre grands distributeurs et importateurs coréens ont été invités, et une master classe exceptionnelle a été organisée en collaboration avec la société Belaus, dans le Speakeasy du salon. Animée par le grand maître Jeong Heonbae - auteur de
L’Histoire du pays de l’alcool, professeur émérite à l’université Chungang à Séoul, fondateur et directeur R&D de HB Jeong Liquor House à Anseong - ainsi que son épouse, Mme Myung Sook Lee, directrice générale. Cette session exclusive m’a permis de découvrir des spiritueux d’exception (le Makgeolli Ginnie, le Yakju Bee, le Soju BongHongJu et le Soju mûr Bong) et l’histoire fascinante qui les entoure.
Master Class au Speakeasy de Wine Paris 2025 avec le grand maître Jeong Heonbae. © Wine Paris, HB Jeong Liquor House
La longue histoire des alcools traditionnels coréens
Le terme coréen sool se traduit littéralement par « eau de feu », en référence à l’effervescence qui se produit lors de sa fermentation, évoquant un geyser. Son origine remonte à l’ère Gojoseon (- 2333 av. J.-C.) avec l’alcool de riz fermenté. Sous la dynastie Goryeo, il évolue avec l’apparition de l’arakju, une liqueur distillée, avant de se diversifie sous la dynastie Joseon. À cette époque, la culture des alcools atteint son apogée : chaque famille développe ses propres recettes faites maison, tandis que l’aristocratie savoure des boissons d’une grande finesse.
L’alcool occupe une place essentielle dans la culture coréenne et repose sur trois piliers : son rôle dans les rites ancestraux, l’apprentissage ancien des « bonnes manières de consommer de l’alcool » , ainsi que sa présence dans de nombreux proverbes, mythes et légendes. Depuis toujours, il joue un rôle clé dans la vie sociale. Boire est un acte de partage et s’accompagne toujours de nourriture, même en petite quantité.
Le soju traditionnel, dont le nom signifie littéralement « alcool chauffé », est obtenu par distillation afin d’en préserver l’essence (environ 25 % d’alcool). Ce spiritueux raffiné, fruit du savoir-faire des maîtres artisans, conserve toute la richesse aromatique de ses ingrédients à travers le processus de distillation. Grâce à la diversité des matières premières et des méthodes employées selon les régions, les plus réputées étant Andong et l’Ile de Jeju, le soju traditionnel est une véritable spécialité du terroir coréen.
La bouteille emblématique de l’Andong Soju avec son masque Hahoe, à boire au moins une fois dans sa vie ! © Myeongin Andong Soju
Contrairement à la France où les alcools forts (20-40 % d’alcool) sont consommés en dehors des repas, en apéritif et en digestif, en Corée cette distinction n’existe pas.
L’occupation japonaise a failli détruire la production et la transmission des alcools traditionnels
A partir de 1916, le gouvernement colonial a interdit la production domestique d’alcool, empêchant les coréens de fabriquer leurs propres boissons. Jusque-là, la production d'alcool faisait partie intégrante de la vie quotidienne en Corée. De nombreuses familles fabriquaient leurs propres boissons fermentées, souvent dans le cadre de cérémonies religieuses, de fêtes ou de rassemblements communautaires, des pratiques traditionnelles millénaires fortement identitaires. Les autorités japonaises cherchaient non seulement à affaiblir les pratiques culturelles coréennes mais aussi à rendre la population plus dépendante des produits importés dont l'alcool produit par des entreprises japonaises. De nombreuses recettes et techniques comme d’anciennes méthodes de brassage ont alors disparu même si beaucoup ont cherché des moyens de contourner cette interdiction.
Après la libération, le gouvernement coréen a interdit l'utilisation du riz pour la production d'alcool car il était devenu trop précieux en période de pénurie alimentaire. On commença alors à utiliser d'autres ingrédients comme la patate douce pour produire du soju. Cette restriction ne fût complètement levée qu’en 1999.
La renaissance des alcools traditionnels coréens
Le makgeolli et le soju sont associés à une renaissance culturelle, symbolisant la résilience de la Corée face à toutes ces adversités. Le soju que nous connaissons (la petite bouteille verte) est récent et dilué. Créé pour s’adapter aux nouvelles préférences des consommateurs, plus doux, plus facile à boire et surtout moins cher, il est devenu très populaire notamment auprès des jeunes qui apprécient aussi le soju aromatisé (pêche, fraise, raisin, etc.) encore plus léger (12-14 % d’alcool). En tête des ventes mondiales, c’est une boisson de convivialité et de partage.
Après des décennies de modernisation où des boissons alcoolisées comme le soju industriel ont dominé le marché, il y a aujourd’hui un retour aux racines culturelles avec une appréciation renouvelée pour les alcools traditionnels, plus authentiques et fabriqués selon des méthodes artisanales. Depuis quelques années, on redécouvre d’anciennes recettes et méthodes de fabrication, certaines familles ayant réussi à les transmettre en secret. Leur préservation est encadrée par une loi visant à préserver les alcools traditionnels. Elle désigne « grands maîtres de Corée » les artisans qui perpétuent ces trésors culturels dans chaque région. et jouent un rôle essentiel dans la transmission des savoir-faire. Aujourd’hui, des initiatives visent à revitaliser cet héritage, avec un regain d’intérêt pour le soju artisanal, le makgeolli traditionnel et d’autres alcools fermentés. Ce renouveau est porté par l’organisation de festivals, de bars spécialisés et de restaurants les mettant en avant.
La pop culture exerce aussi une forte influence, les fabricants collaborant avec des célébrités pour moderniser et promouvoir les boissons traditionnelles.
Jay Park et une bouteille de Won Soju au salon Wine Paris. © Won Soju, Nicole Bergeaud
L’artiste, entrepreneur et influenceur coréen Jay Park a ainsi lancé sa propre marque, Won Soju, que j'ai eu la chance de découvrir sur le pavillon coréen.
Passionné par la culture coréenne, il met à profit son image et sa notoriété pour valoriser à la fois la tradition et l’innovation de son pays.
Autre exemple : Boksoondoga, une entreprise renommée en Corée pour avoir transmis les techniques traditionnelles de brassage du makgeolli de mère en fils, tout en les réinterprétant de manière moderne, a créé Boksoon Cosmetics, une marque proposant notamment un masque en tissu contenant un extrait concentré de levure issu de son vin de riz traditionnel fermenté.
Les quatre catégories d’alcool traditionnel coréen
Le
takju, un alcool fermenté contenant des sédiments, ce qui lui donne un aspect opaque trouble. Il est brassé à partir de riz, d’orge ou d’autres céréales et utilise des ferments naturels comme le nuruk (un initiateur de fermentation coréen 100 % naturel). Le makgeolli dont le nom signifie « fraîchement filtré », est l’un des takju les plus connus. C’est un alcool de riz (6-10 % d’alcool) reconnaissable à sa couleur laiteuse. Son élaboration est simple : un mélange d’eau, de riz et de nuruk avec un temps de fermentation court qui préserve les saveurs et l’onctuosité des céréales. Son procédé est proche de celui de la bière, sa texture, son goût et sa couleur varient en fonction de la qualité du riz utilisé. Autrefois considéré comme une boisson rurale, il était apprécié des paysans dont il calmait la faim et la soif. Aujourd’hui, il en existe de nombreuses variétés, allant du nature aux versions aromatisées aux fruits ou utilisées en cocktails.
Mon conseil : acheter le makgeolli frais plutôt que celui qui est stérilisé.
Le délicieux makgeolli à la châtaigne découvert sur le stand coréen, les pajeon et le restautant de makgeolli Dalmak Dalmak à Insadong. © Nicole Bergeaud, Planète Corée
Il se marie particulièrement bien avec les pajeaon. J’ai découvert à Séoul un excellent restaurant de makgeolli où on sert les deux, caché au fond d’une ruelle d’Insadong, une pépite loin des pièges à touristes.
Le
yakju ou
cheongju traditionnellement réservé à la noblesse et aux cérémonies rituelles (encore aujourd’hui), c’est un alcool clair et filtré obtenu après un affinage supplémentaire. 100 % naturel, il a pour base des herbes médicinales et des fleurs. Son nom signifie littéralement alcool médical. En France, il n’existe pas d’alcool médical au sens traditionnel coréen, où certains alcools sont consommés pour leurs vertus thérapeutiques.
Le cheongju est une liqueur dorée qui rentre dans la même catégorie et qui est utilisé aussi en cuisine. L'insamju est lui un alcool médicinal traditionnel qui était prisé par les nobles. Aujourd’hui, on le trouve sous différentes formes, notamment en bouteilles de luxe contenant des racines entières de ginseng.
Les
liqueurs distillées riches en alcool, pour les fabriquer il faut distiller un liquide déjà fermenté et alcoolisé (takju, yakju ou cheongju), le porter à ébullition afin d’éliminer l'eau et d'en augmenter le degré d'alcool. L'alambic est l'outil de distillation des liqueurs distillées dont le Soju traditionnel fait partie. On utilise du riz local de haute qualité et de l'eau de source pure. Le processus de fermentation, les ingrédients ajoutés, les recettes ancestrales des maîtres, ainsi que la distillation et le vieillissement, confèrent aux liqueurs leur riche saveur.
Le soju mûr, c'est le nec plus ultra dans cette catégorie. Vieilli avec soin, il est souvent comparé au whisky ou au cognac pour sa richesse aromatique et son taux d'alcool élevé (35 % à 45 %, voire plus), une véritable expérience sensorielle comme le sublime Bong mis au point par le grand maître Jeong Heonbae de HB Jeong Liquor House, que j'ai pu eu l'opportunité de découvrir lors de la master classe de Wine Paris.
Belle découverte aussi, la liqueur Gosorisul emblématique de l’île de Jeju. Rare et précieuse, distillée et vieillie longtemps (29 à 40 % d’alcool), elle est faite exclusivement d’ingrédients locaux comme le millet, le sol volcanique ne se prêtant pas à la culture du riz.
Les liqueurs fabriquées à partir de recettes anciennes sont appelées Jeonteongju (littéralement alcool traditionnel). Héritées des techniques et du savoir-faire brassicole transmis depuis les temps anciens, elles sont 100 % naturelles, sans aucun additif.
Les
vins de fruits fermentés à partir de fruits régionaux, de la DMZ au nord à l’ile de Jeju au sud, comme le raisin, les baies sauvages, les pommes, prunes, mûres, pêches et les fraises. Ils accompagnent les spécialités culinaires de chaque région, un peu comme en France.
Le pavillon coréen au salon Wine Paris 2025 et ses importateurs/distributeurs d'alcools traditionnels : The Sool Trader, Lee Gang Ju et The Souljû Cie. © Nicole Bergeaud
Un immense merci à Julia Mellor, CEO de The Sool Trader, (et accessoirement ancienne journaliste honoraire pour Korea.net) pour m’avoir fait découvrir le magnifique Soju Jinmaek 40 et l’étonnant omija-ju ou vin aux cinq saveurs (sucré, acide, amer, piquant, salé). Élaboré à partir de baies d'omija, cet alcool raffiné est apprécié pour son équilibre unique et ses vertus tonifiantes.
Moins connu que le makgeolli ou le soju, il fait partie des trésors cachés du patrimoine coréen et offre une palette aromatique exceptionnelle, tant en dégustation qu'en accord mets-vins. J'ai découvert avec surprise que la notion des cinq saveurs, inconnue en France, est profondément enracinée dans la culture culinaire et médicinale coréenne. Elle repose sur un équilibre subtil entre le sucré, l’acide, l’amer, le piquant et le salé.
Je remercie également Monsieur Beom Seok Kim, Directeur de Lee Gang Ju International, pour la dégustation d'un Soju d’exception. Lee Gang Ju est une liqueur traditionnelle reconnue comme patrimoine culturel, élaborée à partir d’un assemblage unique de riz, d’orge et de nuruk. Vieillie pendant 18 mois, elle se distingue par l’ajout d’ingrédients nobles tels que la poire coréenne, le gingembre, le curcuma, la cannelle et le miel. Un savoir-faire perpétué avec passion par le grand maître Cho Jung Hyeng que vous pouvez retrouver dans le documentaire
Soju Rhapsody sur Netflix (épisode 2).
Enfin, un grand merci à Mme Choi Yong Seon, directrice de The Souljû Cie et à sa fille pour leur accueil chaleureux, leurs précieuses explications et une superbe dégustation de leur sélection. Basée à Paris, elle travaille sur un projet innovant de Food & Sool Pairing qui permettra bientôt de faire découvrir ces alcools coréens méconnus en France.
Le stand coréen au salon Wine Paris 2025. © Nicole Bergeaud
En seulement trois jours, le pavillon coréen a établi plus de 100 contacts professionnels et enregistré de nombreuses commandes, marquant une première participation des plus prometteuses au salon Wine Paris 2025 à la Porte de Versailles.
Je remercie Mme Nam Sanghui, directrice de l’aT center Paris et son équipe pour m'avoir fait découvrir tout un pan de la culture coréenne que je ne connaissais pas malgré plusieurs voyages dans la péninsule.
À travers ces lignes, j’ai souhaité mettre en lumière non seulement la culture coréenne de l’alcool, mais aussi l’art de la dégustation et la découverte de boissons raffinées en prenant son temps, en appréciant chaque saveur et en partageant un moment convivial. On parle de qualité et non de quantité.
Les interviews pour cet article ont été réalisées au salon Wine Paris les 10 et 11 février 2024 et par échange de mails avec l’At center Paris.
Liens utiles :
https://global.wonsoju.com/
https://wineparis.com/newfront
http://www.leegangju.co.kr/eng/leegangju/document.php
https://www.insamju.net/index
https://english.visitkorea.or.kr/svc/sub/subPlan.do?menuSn=10
Présents partout à travers le monde, les journalistes honoraires de Korea.net ont pour mission de faire connaître et partager leur passion de la Corée et de la culture coréenne au plus grand nombre.
caudouin@korea.kr