Tribunes

15.12.2021

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Ophélie Surcouf

Journaliste freelance


En France et plus largement en Occident, on s’étonne que la success story de « Squid Game » soit coréenne. Pourtant, cela fait des décennies que le pays du Matin calme prépare le terrain. La péninsule enchaîne d’ailleurs les records internationaux depuis plusieurs années : en 2019, le groupe de K-pop BTS explose dans le monde entier et en 2020, « Parasite » de Bong Joon-ho devient le premier long-métrage étranger à décrocher l’Oscar du meilleur film à Hollywood. Pourquoi tous les contenus culturels coréens séduisent-ils les audiences du monde entier ?

Des histoires qui ont une fin

Les Coréens produisent des séries depuis les années 1990 et celles-ci n’ont cessé de gagner en popularité dans les pays voisins (en Chine, au Japon, en Malaisie, en Indonésie, au Vietnam, au Népal, en Birmanie…). Puis elles ont commencé à s’exporter dès le milieu des années 2000 en Afrique (au Zimbabwe, en Tanzanie, au Ghana…), au Moyen-Orient (Iraq, Israël…) et en Amérique Latine (Mexique, Pérou, République Dominicaine, Costa Rica…). Parmi les succès les plus notables, « Dae Jang Geum », une série historique sortie en 2003, est devenue un tel hit en Iran que, lors de sa diffusion en 2007, elle récoltait 90 % d’audience par épisode !

Face à cette expansion internationale, vite baptisée la hallyu (vague coréenne), les mini-séries d’une saison unique de 16 à 20 épisodes sont produites à la chaîne, un format dont les audiences étrangères, habituées aux séries qui s’étirent sur des années, apprécient tout particulièrement. Et rapidement, leur qualité visuelle - déjà bien au-delà des pays voisins - s’améliore encore plus.

Une esthétique qui vise la perfection
Cette recherche de la perfection esthétique est présente partout en Corée et elle est l’une des raisons majeures derrière le succès de la hallyu. Elle est notamment flagrante dans les clips de K-pop où chaque détail est millimétré, que ce soit l’apparence des idoles, les mouvements de la chorégraphie, les décors, la lumière, les mouvements de la caméra ou le rythme effréné auquel s’enchaînent les images. Chaque aspect tente de trouver la balance parfaite entre deux extrêmes : le lisse et le vibrant, le sculpté et l’animé, le sombre et le lumineux... Cette exigence se retrouve dans la K-fashion (la mode coréenne), le packaging de la K-beauty (les produits de beauté), et de manière générale le marketing de tous les produits coréens.

Des personnages uniques
Un autre aspect qui séduit les audiences internationales est la manière dont sont racontés les personnages. Depuis le début des années 2000, la Corée excelle à créer des icônes. Dans la K-pop, par exemple, où, même si les fans aiment la musique et les chorégraphies de leurs groupes, ils adorent avant-tout chacun des membres de l’ensemble et l’alchimie qui les lie. Dans les films ou les séries d’animations comme Pororo, le petit pingouin ou Pucca, la jeune Japonaise amoureuse du ninja Garu, dont les designs sont devenus le prétexte à des milliers de produits dérivés vendus à travers le monde. Ou dans les séries coréennes, qui capturent un public en recherche d’alternatives aux tropes narratifs occidentaux - et surtout hollywoodiens.

Des fans impliqués
La culture coréenne a aussi pris une ampleur mondiale car elle crée des fans proactifs - c’est-à-dire des fans qui ne consomment pas passivement les contenus culturels qui leurs sont proposés. Ils créent du contenu en ligne, s’organisent en communautés ou s’investissent en l’honneur de leurs stars. C’est un phénomène qui existe par ailleurs (entre autres autour des films Marvel, de Harry Potter, du boys-band One Direction…), mais dont l’envergure est plutôt inédite avec la K-pop. Ces derniers ont fait surgir la hallyu dans des sujets transverses à celui de la culture : en politique, par exemple, lorsque les fans de BTS ont levé un million de dollars pour le mouvement #BlackLivesMatter.

Une langue exotique
Enfin, l’attrait pour la langue coréenne est souvent sous-estimé, mais c’est peut-être lui qui, plus que tout autre, révèle la force de frappe de la hallyu. Apprendre un langage est un énorme investissement de temps, d’effort et témoigne d’une envie de comprendre l’autre, de réduire le fossé entre deux cultures.

Avec son alphabet facile d’accès aux immenses possibilités graphiques, de nombreux fans de Corée se sont intéressés à la culture coréenne via la calligraphie, par exemple. Certains pouvaient déjà suivre des cours dans l’un des instituts Sejong, un organe fondé en 2007 par le gouvernement coréen pour promouvoir et enseigner la langue coréenne dans le monde entier. Mais récemment, les chiffres explosent. Déjà suite à Gangnam Style, les chiffres avaient doublé en France dans les universités : le nombre d’apprenants en coréen était passé de moins de 500 en 2007 à environ 1 300 en 2011. Dans les trois instituts Sejong en France, de 867 en 2018 à 1 624 en 2020. Puis, dans le sillage de « Squid Game », il a grimpé de 50 % sur Duolingo, une application pour apprendre des langues en ligne.

Un nouveau record qui est probablement loin d’être le dernier ! Le dernier hit de BTS, « My Universe », un duo avec le groupe Coldplay, a célébré sa sortie en démarrant 1er au palmarès des Billboards Hot 100 et « Hellbound », la dernière série coréenne de Netflix réalisée par Yeon Sang-ho, semble directement suivre les pas de « Squid Game ». Elle s’est déjà hissée au sommet du top 10 des séries regardées dans des dizaines de pays...


Ophélie Surcouf est journaliste freelance et récemment auteure de « Pourquoi la Corée ? ». Elle est également la co-créatrice du magazine K-society, qui présente la culture coréenne.