Le 15 mai dernier, en Allemagne, le centre mondial de la scène de la musique classique, l'une des récompenses les plus prestigieuses est allée à une chanteuse de musique traditionnelle coréenne.
Lee Chun-hee, maître du chant de Gyeonggi Minyo, les chansons folkloriques traditionnelles originaires de la province du Gyeonggi-do, a en effet remporté le prix Deutschen Schallplattenkritik pour son album "Chant Arirang et Minyo".
La virtuose de 67 ans a sorti cet album en janvier dernier avec Radio France, le radiodiffuseur français de service public qui produit également des disques. L'opus rassemble 11 morceaux emblématiques du répertoire de la chanteuse, des chants qu'elle a interprété tout au long de sa carrière.
On retrouve ainsi "Gin Arirang" (long et lent), "Gu Arirang" (ancien), "Arirang", "Noratgarak" (mélodie d'un chant), "Changbu Taryeong", "Nodeul Gangbyeon", "Taepyeongga"(chant de la grande paix), "Ibyeolga"(chant d'adieu) et enfin deux versions du chant bouddhique "Hoesimgok".
La chanteuse de Minyo Lee Chun-hee se produit depuis cinq décennies. (Photo : Jeon Han)
"Ce que j'ai ressenti, à l'annonce de la réception du prix, ce matin, est indescriptible", a déclaré la chanteuse. "Toutes ces dernières années, la pensée avait couru dans mon esprit. J'étais tellement bouleversée que j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Ce n'était pas seulement une reconnaissance pour moi, mais aussi une journée de célébration pour toutes les sonorités du Gyeonggi-do".
Créé en 1980, le prix allemand est l'une des récompenses les plus prestigieuses en Europe. Un panel de plus de 145 experts comprenant des critiques musicaux, des universitaires et des producteurs de programmes de musique, se chargeant de sélectionner chaque année les gagnants dans 29 catégories.
"Ses interprétations transforment ces chansons folkloriques coréennes incluant des éléments chamaniques en une forme d'art", a déclaré l'un des membres du jury.
La chanteuse Lee Chun-hee interprétant "Arirang" lors d'un concert donné à Cheong Wa Dae, le 27 octobre 2013. (Photo : Jeon Han)
Lee Chun-hee s'est attachée uniquement aux chants traditionnels du Gyeonggi Minyo depuis plus de 50 ans. Malgré les difficultés financières et une forte opposition de ses parents, elle a tenu bon.
Elle a débuté par une formation aux techniques du Minyo quand elle a rencontré le maître Lee Chang-bae qui était alors fort célèbre, dans une académie de Minyo que Lee Chun-hee avait trouvé par hasard.
La jeune chanteuse a étudié avec cette aînée pendant dix ans puis elle a rencontré un autre maître, An Bi-chui (1926-1997), qui fut l'une des trois seules personnes honorées par le titre d'atout culturel immatériel important (n°57) pour le Gyeonggi Minyo. Dès lors, ses compétences en chant ont progressé à pas de géant.
En 1997, à l'âge de 50 ans, Lee Chun-hee a son tour reçu la distinction d'An Bi-chui en entrant au patrimoine culturel immatériel de la Corée. Pour beaucoup, elle est la meilleure chanteuse dans ce genre traditionnel particulier.
La chanteuse et maître du Minyo, Lee Chun-hee (deuxième à gauche) interprétant "Arirang" avec la Présidente Park Geun-hye (quatrième à partir de la droite) et d'autres artistes lors d'un concert extraordinaire qui s'est déroulé à Cheong Wa Dae, le 27 octobre de l'année dernière. (Photo : Jeon Han)
Aujourd'hui, Lee Chun-hee se concentre sur la promotion des étudiants talentueux dans les universités et à l'Association coréenne de la chanson folklorique traditionnelle, persuadée que ce sont ces étudiants qui assureront la pérennité du Gyeonggi Minyo.
Korea.net récemment rencontré la grande spécialiste du Minyo pour en apprendre davantage sur ses 50 années de carrière en tant que chanteuse.
- Depuis que vous avez commencé à chanter le Gyeonggi Minyo, à l'âge de 16 ans, vous êtes restée fidèle à ce genre pendant plus d'un demi-siècle. Pour nos lecteurs qui ne connaissent pas tous ce style, pourriez-vous, s'il vous plaît, expliquer ce que c'est. Je dirais que c'est "le son de Séoul". Il est originaire de la région du Gyeonggi-do et de Séoul. Les chansons du Gyeonggi Minyo ont des airs très frais, clairs et transparents. Les sonorité sont assez intrigantes.
- Dites-nous comment vous avez débuté dans la musique traditionnelle Gyeonggi Minyo. Je suis originaire de Séoul. Je suis née ici et j'ai vécu ici toute ma vie. C'est pourquoi j'ai été instantanément frappée par les sons de ma ville natale, je pense. Dans mon enfance, le Gyeonggi Minyo était un style populaire. A cette époque, je pouvais souvent entendre ces airs à la radio. Et la première fois que j'ai entendu l'une de ces chansons, j'ai été immédiatement attirée par sa musicalité claire et pure. Chaque fois que j'en ai écouté, la musique a toujours persisté dans mes oreilles pendant un certain temps. Et lorsque j'entendais n'importe quelle chanson de Minyo dans la rue, je m'arrêtais pour l'écouter jusqu'à ce qu'elle soit terminée.
A cette époque, je ne savais pas qu'il y avait une académie de Minyo. Après une formation à l'école de musique ordinaire pendant trois ans, je suis allée dans une école spécialisée dans le Minyo, où j'ai rencontré mon premier professeur, Lee Chang-bae.
Un jour, il m'a demandé: "Qu'est-ce que la musique signifie pour vous ?". Je n'ai pas pu donner une réponse tout de suite. J'ai commencé un combat à mort avec moi-même, pour tenter de trouver la réponse. Et je me suis entraînée encore et encore.
A cette époque, un dispositif d'enregistrement ou quoi que ce soit de high-tech était difficile à obtenir. Je devais donc mémoriser toutes les notes à la fois quand j'entendais une chanson. Ensuite, je pouvais m'entraîner de mémoire. Je me suis même cognée de nombreuses fois contre des poteaux dans la rue tellement j'étais concentrée sur la pratique de mon chant pendant que je marchais.
Le maître de chant de Gyeonggi Minyo, Lee Chun-hee, enseignant à ses élèves. (Photo : Jeon Han)
- Qu'est-ce qui vous fascine le plus dans la musique du Gyeonggi Minyo ? La première fois que je l'ai entendue, un frisson a parcouru tout mon corps. Lorsque j'ai chanté un morceau au rythme que mon professeur battait sur son genou, il n'a pas cru que je chantais cet air pour la première fois et il m'a dit : "Vous l'avez certainement apprise quelque part d'autre, non ?"
Pour être honnête, au bout de trois mois de cours, je m'ennuyais un peu. Bien sûr, j'appréciais chaque moment de l'enseignement, mais, quand je repartais, je me demandais : "Quelle est l'utilité d'apprendre cela ?".
Je pensais que c'était un spectacle pitoyable de voir à peine quelques personnes assises autour dans une minuscule mansarde, jouant du tambour janggu et chantant.
De tels doutes sont revenus à maintes reprises. Mais le lendemain, quand je chantais avec mon professeur, je pensais : "Oui, j'ai bien fait", et j'avais à nouveau un sentiment positif. J'ai connu ainsi une série sans fin de conflits intérieurs.
Cependant, plus je chantais la musique, plus j'en tombais amoureuse.
- Qu'est-ce qui vous a décidée à devenir un chanteuse ? Puis qu'est-ce qui vous a motivée à faire carrière pendant plus de 50 ans ? C'est d'avoir rencontré mon deuxième professeur, An Bi-chui, en 1975. C'était l'année où elle a été reconnue comme patrimoine culturel immatériel important pour le Gyeonggi Minyo. En outre, elle m'a choisie comme élève. Ce fut un moment qui sonnait comme "voilà ce que je dois faire".
Si je n'avais pas aimé ce travail, je n'aurais pas été capable de le faire. A moins d'être folle de quelque chose, je ne peux pas le faire. Mais même après, lorsque j'étais déterminée à poursuivre dans cette voie, j'ai fait face à des luttes sans fin avec moi-même, à la fois physiquement et émotionnellement.
J'ai continué, avec le seul objectif de devenir un "maître de chant" dans ce domaine.
Un jour, des producteurs de télévision m'ont rendue rouge de honte en me disant que j'étais trop laide pour passer à la télévision. C'était vraiment embarrassant, mais je ne voulais pas me laisser décourager. Et je me suis dit "je vais compenser ma "laideur" avec mes compétences en chant. Je vais survivre et devenir la meilleure Lee Chun-hee que je puisse être". Et j'ai répété encore et encore.
- Vous devez avoir connu des difficultés pendant ces cinq décennies de carrière. Quand est-ce que cela a été difficile pour vous ? Ce furent des difficultés financières. Ceux qui ont fait des efforts dans ce domaine depuis de nombreuses années, comme moi, ne peuvent être récompensés pour ce qu'ils ont fait. Chaque fois que j'ai vécu cela, ou vu mes pairs vivre la même chose, j'ai éprouvé un fort sentiment de regret.
A une époque, je devais prendre deux bus, mais je n'avais malheureusement pas assez d'argent pour le second. Je n'empruntais donc que le premier et je marchais le reste du chemin. J'ai eu faim à ce point.
Cependant, j'ai enfin vu la lumière au bout du tunnel en 1996, l'année que le gouvernement a désignée "Année du Gugak", c'est-à-dire de la musique traditionnelle coréenne. J'ai été tellement bouleversée que j'en ai versé des larmes, je me souviens. A partir de cette désignation, de nombreux chanteurs de Gugak ont commencé à avoir du travail. Et un nombre croissant d'universités a commencé à ouvrir des départements de musique traditionnelle. Des cours de Gugak sont aussi apparus dans les centres culturels de nombreuses régions du pays.
L'année suivante, j'ai connu une autre crise. En janvier 1997, lorsque mon professeur, An, est décédée. Depuis que j'étais devenue son élève, j'avais toujours été auprès d'elle. Elle n'était pas seulement mon professeur, mais un membre de la famille et comme une mère pour moi. Quand elle est décédée, j'eu eu l'impression que le monde s'écroulait.
La chanteuse spécialiste du Gyeonggi Minyo, Lee Chun-hee, confie : "Chanter, c'est ma vie". (Photo : Jeon Han)
- On sait que vous avez gravement souffert du trac : comment l'avez-vous surmonté ? Pour le surmonter, j'ai répété des exercices debout-assis. Je me souviens que j'ai fait des milliers et des milliers de fois cet exercice pendant toute l'année qui a précédé mon premier concert en 1985. Je l'ai tant fait que mes jambes se sont musclées et, au bout d'un an, le trac a disparu. A force de répéter, mes compétences en chant, aussi, se sont tellement améliorées que je pouvais même chanter tout en courant. C'est à partir de cette époque que l'on a commencé à m'appeler "maître de chant".
Aujourd'hui, j'ai une autre sorte de "peur". Je me sens encore un peu nerveuse, car je pense que je dois répondre à tant d'attentes. Je travaille toujours dur, pensant que le public pourrait se demander : "Est-elle un vrai "maître de chant" ou seulement une personne qui chante ainsi ?".
Je me rends compte que monter sur scène me rend toujours nerveuse, qu'elle soit grande ou petite. C'est pourquoi je dis à mes élèves : "Peu importe sa taille, n'importe quelle scène est toujours grande. Je veux dire que lorsque vous êtes sur une petite scène, les gens peuvent vous entendre d'assez près pour saisir le moindre son que vous produisez".
Il faut chanter avec tout son cœur quelle que soit scène en faisant toujours attention à la façon de gérer les mouvements de ses yeux et de ses bras.
- Vous avez activement pris part à la diffusion du Gyeonggi Minyo en donnant des concerts dans de nombreuses parties du monde, en particulier à travers l'Europe, comme en Allemagne et en France. Sentez-vous une différence dans la réaction du public mondial à votre musique par rapport à 50 ans auparavant ? La France compte trois grands festivals chaque année. L'un d'eux a eu lieu mars dernier à Paris, où j'ai fait l'ouverture avec l'exact répertoire de mon dernier album, celui qui a remporté le prix allemand.
Beaucoup de gens ont considéré que c'était un miracle que ce soit une chanteuse coréenne, et a fortiori spécialisée dans le Minyo, qui ouvre ainsi une fête d'une telle importance dans le pays. C'était vraiment un moment émouvant. Je suis honorée d'avoir eu cette opportunité. Toutes sortes de souvenirs d'épreuves et de moments difficiles m'ont alors retraversé l'esprit.
J'ai éprouvé le même sentiment lors de mon premier concert solo en Allemagne en 2011. J'ai été extrêmement impressionnée par le peuple allemand, qui ne comprenait pas les paroles de mes chansons, mais qui a écouté attentivement tout au long du concert. A la fin de ce spectacle, j'ai reçu une avalanche d'applaudissements et d'acclamations. J'étais vraiment fière de moi. Je n'oublierai jamais ce moment.
- Avez-vous des rêves que vous n'avez pas encore réalisés ? L'un de mes rêves est de fonder une société spécialisée dans la musique traditionnelle coréenne Gyeonggi Minyo, dont les membres pourrait recevoir un salaire mensuel. Je sais que le genre traditionnel est parfois difficile d'accès et le succès n'est pas aisé à obtenir.
Heureusement, il y a des activités Gugak dans les jardins d'enfants, les collèges et les lycées, mais il n'en existe pas encore pour les écoles élémentaires. Je pense que nous aurions plus de maîtres de chant si nous permettions aux enfants de commencer à apprendre les bases à un âge précoce. C'est pourquoi il serait bon d'avoir aussi des écoles primaires Gugak.
- Avez-vous désormais trouvé la réponse à la question posée par votre professeur voilà quelque cinquante ans ? Qu'est-ce que chanter signifie pour vous ? Chanter, sori en coréen, c'est ma vie. Je suis passée par de nombreux moments de frustration et de doute de moi-même, mais je l'ai fait parce que j'aimais la musique. Ma passion et mon amour pour la musique m'ont poussée et amenée où je suis maintenant. Rétrospectivement, je devais faire cela et la musique a été toute ma vie. J'espère voir beaucoup de gens consacrer leur vie à cette magnifique partie de la musique, comme je l'ai fait.
Au premier plan, l'album "Chant Arirang et Minyo" édité par Radio France et pour lequel le maître de chant Lee Chun-hee a remporté le célèbre prix Deutschen Schallplattenkritik le 15 mai 2014. (Photo : Jeon Han)
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- Si vous aviez un seul conseil à transmettre à vos élèves, quel serait-il ?Tout étudiant peut ne pas être satisfait de chacun des aspects de ce qu'il fait. Il peut ressentir à un moment donné que quelque chose ne va pas ou que quelque chose manque. Mais peu importe la difficulté du chemin, ne vous découragez pas. Si vous continuez comme vous l'avez fait jusqu'à présent, je suis sûre que vous aller parvenir à votre but. Et je veux vous dire : "Soyez fort et soyez patient jusqu'à la fin".
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- , par curiosité, comment décririez-vous la chanson multi facettes "Arirang" ?"Arirang" a longtemps été connue comme une chanson qui représente le sentiment de han, ou 恨, soit un sentiment de profonde tristesse qui existe à l'intérieur de nombreux Coréens. Je pense cependant que ce chant est le son de l'espoir. Il représente l'avenir de la Corée.
Rédaction : Sohn Jiae (jiae5853@korea.kr) pour Korea.net
Version française : Bruno Caietti