Entretiens

24.11.2014

Les gens marchent vite dans le centre de Séoul. Ils prennent le métro pour se déplacer en ville. Au contraire, ils cheminent paisiblement le long des sentiers, dans les montagnes. Ailleurs, ils apprécient la visite des palais royaux.

Toutes ces scènes de la vie quotidienne en Corée, et tout ce qui fait la couleur culturelle du pays, un dessinateur français les a couchées sur le papier. Il s'appelle Samir Dahmani et il vient de publier ses illustrations dans un recueil intitulé "Samir dessine un étrange Séoul".

 

Samir Dahmani a développé un intérêt pour la culture coréenne quand il a suivi les cours d'un master en animation à l'ÉESI d'Angoulême, la capitale française de la BD. L'arôme des aliments typiquement coréens, en particulier, qu'il a d'abord découvert grâce à ses camarades coréens à Angoulême, a retenu son attention et s'est figé dans son esprit, pour finalement jouer un rôle crucial dans sa décision de faire le voyage de New York à Séoul.


Illustrator Samir Dahmani poses for a photo at his exhibition in the Seoul Metropolitan Library.

Le dessinateur Samir Dahmani présente son exposition à la bibliothèque Metropolitan Library, à Séoul.


Dahmani draws various scenes of daily life in Korea.

Dahmani a croqué de nombreuses scènes de la vie quotidienne en Corée.


Dahmani poses for a photo while holding one of his works of art. A man wearing a red mask shows up in many of the illustrations.

Dahmani présente l'un de ses croquis dans lequel on remarque un homme portant un masque rouge, un personnage récurrent qui apparaît dans la plupart de ses illustrations.


On lit ainsi dans son livre : "différents souvenirs qui avaient été enfouis sont remontés à la surface grâce à un parfum". Ce parfum, c'était celui des tteokbokki. Dahmani confie qu'il s'est d'abord senti comme un étranger, à son arrivée à Séoul après s'être posé à l'aéroport international d'Incheon. Cependant, il dit aujourd'hui sentir une proximité avec cet étrange pays.

 

Sa première expérience avec la cuisine coréenne s'est progressivement muée en un intérêt pour tous les aspects de la culture coréenne. Dahmani écrit ainsi : "Peu à peu, toutes ces choses d'un pays se trouvant de l'autre côté de la terre ont commencé à m'apparaître plus familières. C'était un rendez-vous avec la culture coréenne".

 

Le dessinateur explique aussi qu'il s'est découvert une passion pour Séoul, "une ville vivante". Il y a été fasciné par la Corée contemporaine, où les traditions du passé coexistent avec les changements de la société moderne.

 

A propos du peuple coréen, il analyse : "les Coréens semblent être pleins de méfiance et peuvent être froids, mais dès qu'ils sourient vous découvrez qu'il s'agit de gens pleins de timidité et de compassion".

 

Tout au long de son livre, Dahmani dessine la Corée afin d'en savoir plus sur les modes de vie, les habitudes et les traditions des gens qui vivent ici. Il compte à présent étudier la langue coréenne à Daejeon, en décembre, pour pouvoir en apprendre encore davantage sur le pays.


Entretien avec Samir Dahmani


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- Dans votre livre, vous expliquez que c'est le goût d'un plat coréen en particulier, le tteokbokki, qui vous a fait venir en Corée. Pour quelle raison avez-vous aimé ce plat ?

J'ai goûté des tteokbokki pour la première fois avec des étudiants coréens que j'avais rencontrés au cours de mes études à Angoulême. C'était délicieux. Mes amis coréens m'ont présenté le plat comme un aliment qu'ils cuisinaient souvent et je l'ai vraiment apprécié

J'étais curieux de connaître des étudiants étrangers, c'est pourquoi je m'étais rapproché de certains étudiants coréens. J'ai aimé l'odeur quand ils ont préparé des plats coréens. J'ai même envisagé d'en faire le titre du livre : "Le parfum des tteokbokki". Depuis, je me prépare souvent des tteokbokki moi-même.
Avant de connaître mes amis coréens, je ne savais pas grand chose sur la Corée, à l'exception du fait que le pays avait été l'hôte de la Coupe du Monde de football FIFA Corée-Japon en 2002.

 

- Qu'est-ce qui vous intéresse dans la culture coréenne ? De quels aspects vous sentez-vous proche ?

Au début, j'étais intéressé par les grandes villes, comme New York. Après avoir rencontré mes amis coréens, cependant, je me suis intéressé à la Corée. Et lorsque à Angoulême, j'ai choisi "ville" comme sujet de mémoire de maîtrise, c'était aussi parce que peu d'artistes avaient pris Séoul comme sujet de leurs œuvres. J'ai aimé le développement de Séoul qui a été atteint grâce à travers une coexistence de la modernité d'aujourd'hui et des traditions du passé.

 

- Y a-t-il un endroit en particulier que vous avez visité de nombreuses fois pour le dessiner ? Et avez-vous un endroit préféré en Corée ?

Il n'y a pas de site que j'aime visiter en particulier. Ceci dit, j'aime le dynamisme du métro. Dans le métro, je peux voir les gens communiquer et vivre les uns avec les autres. Mais quand je descends les escaliers de la station de métro, c'est un monde totalement différent dans lequel les gens passent rapidement devant les magasins. Le contraste de l'attitude des personnes, dans et en dehors du métro, m'a intrigué. Dans le métro, je peux aussi observer les expressions faciales des gens et les dessiner facilement, par rapport au bus où je peux voir seulement leur nuque.

Pour mon travail, je ne visite pas des lieux spécifiques. J'aime marcher et aller où mes pas me mènent. J'aime descendre du métro sans plan et découvrir de nouveaux endroits. Quand j'arrive dans un quartier que je ne connaît pas du tout, mes cinq sens deviennent plus forts, ce qui créé de bonnes conditions pour dessiner. Pendant la phase d'élaboration, je trouve un endroit de cette façon et j'assois pendant une heure pour réfléchir. Puis, lorsque j'ai une idée de dessin, je commence à travailler. J'aime trouver de nouveaux endroits sans aucun plan, mais avec une carte et dessiner des images.

 

- Dans le livre, vous vous êtes dessiné sous les traits d'un homme portant un masque rouge traditionnel coréen appelé malttugi, ou "gros nez. Pourquoi vous être représenté ainsi ?

Ce personnage, ce n'est pas moi. J'ai dessiné un nez à cause d'un projet précédent qui tournait autour du "nez". Il était basé sur une histoire du romancier russe Nikolaï Gogol dans laquelle un homme perd son nez et cherche partout pour le trouver. J'ai tiré mon idée du roman et je l'ai appliquée dans mon travail à un arrière-plan coréen. J'ai coloré le personnage en rouge pour le faire ressortir et je l'ai vêtu d'un dopo, également, qui est la robe traditionnelle coréenne qui fut essentiellement portée par les lettrés confucéens. J'étais aussi intéressé par la signification symbolique du nez dans la culture coréenne. Je pense que le nez symbolise l'identité dans la culture coréenne. J'ai aussi entendu parler d'un dicton disant : "Séoul, c'est un endroit où l'on peut perdre son nez en une fraction de seconde". Je sais aussi que beaucoup d'asiatiques aimeraient avoir un nez relevé "à l'occidentale", et aussi que "kojaengi" est un terme coréen utilisé pour se moquer des occidentaux.

Le personnage portant le masque malttugi est le conteur. Il découle de mon étude des masques traditionnels coréens. Malttugi étant celui qui conduit l'histoire dans les danses de masques coréens. Dans mon livre, le personnage de Malttugi joue le même rôle.

 

- Quel message souhaitez-vous transmettre avec votre livre ?

Je tiens à rappeler aux Coréens la grande valeur de petites choses insignifiantes qu'ils tiennent pour acquises et oublient au cours de leurs activités quotidiennes. Bien sûr, cela n'est possible que parce que je suis un étranger en Corée. Peut-être que des Coréens pourraient avoir la même démarche pour moi si j'étais en France. J'ai pensé qu'il y avait de nombreux bijoux tout autour d'eux dont les Coréens ne sont pas conscients. C'est pourquoi je voudrai le leur rappeler avec mon livre.

 

- Avez-vous des souvenirs inoubliables de la Corée ? Si oui, lesquels ?

Je dirais mon dernier projet qui porte sur une femme coréenne nommée Gyeongsuk, que le héros de mon projet "nez" a rencontré lors de ses recherches en Corée. Gyeongsuk est une interprète qui a étudié en France et vit maintenant en Corée. Mon prochain projet sera basé sur son histoire. Pour le mener à bien, j'ai rencontré des étudiants coréens, en particulier des jeunes femmes qui ont étudié à l'étranger. Je trouve très intéressant de m'entretenir avec elles parce qu'elles ressentent des difficultés pour adapter leur vie en Corée après avoir vécu en France. Pour recueillir des informations pour ce projet, j'ai donc interviewé des gens et je publierai un autre livre dans l'espoir d'en apprendre davantage sur Séoul et la culture coréenne.

 

- Où trouvez-vous l'inspiration pour votre travail ?

Je n'ai pas vraiment d'inspirations. J'aime travailler sur des sujets spécifiques. Cependant, il y a beaucoup de références que j'aime, artistes, écrivains, metteurs en scène ou photographes, qui viennent d'horizons différents. Toutes ces références ont construit ma sensibilité.

 

- Quel genre d'artiste pensez-vous être ?

Je pense que je suis un chercheur, parce que la chose la plus importante pour moi, c'est d'être très curieux de tout. C'est la meilleure façon d'améliorer mon travail.

Lorsque j'ai étudié à Angoulême, j'ai beaucoup travaillé sur la connectivité de l'animation, de la vidéo et d'autres médias. Ces études se sont révélées essentielles pour la création de mes travaux.

 

- Parlez-nous de vos projets d'avenir ou de votre prochain livre.

Je travaille avec ma petite amie coréenne sur le projet "Gyeongsuk". Elle interviewe des Français et j'interviewe des étudiants coréens, pour recueillir les deux points de vue.

Un autre projet prévoit de travailler avec Jésus Castro, qui est un réalisateur de documentaires français. Castro veut me filmer pendant que je travaille et réaliser un documentaire.

 

- Y a-t-il des défis que vous souhaitez relever à l'avenir ?

Je n'ai pas particulièrement pour objectif de relever des défis. Je ne sais pas si je dois continuer à dessiner parce que j'aime aussi enseigner aux autres. J'aime le dessin, mais j'aime également communiquer avec d'autres personnes c'est pourquoi je voudrais essayer d'enseigner le dessin.

 

- Qu'est-ce que les termes "Corée" et "dessin" signifient pour vous ?

Le dessin, c'est comme un voyage pour moi parce que quand je pars, j'oublie le temps et je me concentre sur le moment. Cela consiste à m'interroger sur un mot ou une pensée en particulier, puis à m'exprimer sur le papier. J'espère que les gens se poseront des questions sur eux-mêmes après avoir vu mes dessins décrivant les petites histoires de chacun de nous. Je crois que ces questions peuvent aider la société à se développer. La société coréenne est confrontée à un tournant important, où les traditions du passé et les changements modernes coexistent. Pour moi, c'est aujourd'hui le moment de poser des questions, au moment où les traditions et la nouvelle génération entrent en collision. 


Dahmani signs his autograph with a drawing of a typical Korean woman, or '<i>ajumma</i>.' He says he enjoys drawing the Korean female face.

Un autographe signé par Samir Dahmani, assorti du dessin d'une femme coréenne typique, ou "ajumma". L'auteur confie qu'il aime dessiner le visage féminin coréen.


Poster of Samir Dahmani's wexhibition at Seoul Metropolitan Library

L'affiche de l'exposition de Samir Dahmani à la Metropolitan Library de Séoul.



Rédaction : Yoon Sojung (arete@korea.kr) pour Korea.net

Photos : Jeon Han

Version française : Bruno Caietti