Entretiens

04.05.2023

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Les frères Dardenne défilent sur le tapis rouge de la cérémonie d’ouverture du Festival international du film de Jeonju, le 27 avril 2023.



Par Jung Joo-ri et Charles Audouin, photos Festival international du film de Jeonju

À plusieurs milliers de kilomètres du festival de Cannes où ils ont été récompensés deux fois de la Palme d’or avec Rosetta (1999) et l’Enfant (2005), c’est au festival international du film de Jeonju (JIFF) que les frères Dardenne sont se rendus pour leur première visite en Corée du Sud. Leur dernier film, Tori et Lokita, ouvre la 24e édition de ce festival qui se déroule du 27 avril au 6 mai 2023 dans la ville de Jeonju, dans la province de Jeolla du Nord.

Prix du 75e festival de Cannes, Tori et Lokita raconte l’histoire d’amitié entre deux jeunes béninois arrivés seuls en Belgique et qui tentent par tous les moyens de surmonter les difficultés liées à leur exil. D’une façon simple et directe, Jean-Pierre et Luc Dardenne proposent un drame social qui témoigne de la brute réalité à laquelle font face les enfants immigrés.

Depuis Falsch, réalisé en 1986, le cinéma engagé des Dardenne a toujours abordé des thématiques allant de la lutte ouvrière à l’immigration en mettant sur le devant de la scène les invisibles de la société, comme les enfants de criminels, les immigrés, les sans-abri ou les prostituées.

Les deux réalisateurs belges devaient se rendre au JIFF en 2019 à l’occasion de la sortie du Jeune Ahmed. Le 27 avril dernier, après quatre ans et une pandémie de Covid-19, ils se rendaient enfin à la 24e édition du festival avec Tori et Lokita.

C’est durant leur conférence de presse et à la table ronde organisées en leur honneur que Korea.net a rencontré les frères Dardenne, qui n’ont manqué ni de sourires, ni d’humour.

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Jean-Pierre Dardenne.


Korea.net : C'est la première fois que vous venez en Corée du Sud. Quelles sont vos impressions ?

Jean-Pierre Dardenne : Nous devions venir en Corée avant le Covid-19 à l’occasion d’une séance spéciale du Jeune Ahmed, parce que la plupart de nos films ont été distribués ici, mais ça n’a finalement pas pu se faire. Nous sommes là maintenant que la pandémie est finie. Nous voulions également voir la Corée de nos propres yeux parce qu’on ne la connaissait qu’à travers les films coréens.

Luc Dardenne : Nous sommes très heureux d'être ici. Ce qu’on a particulièrement remarqué ici, ce sont les gens et les visages qui nous sont très hospitaliers, plus que les bâtiments ou autre chose. Personnellement, j’aime qu’on me pose beaucoup de questions sur mes habitudes ou sur mon travail quand je me rends quelque part ou quand quelqu’un vient chez moi. Ici, on sent qu’il y a un véritable intérêt à propos de l’extérieur et que les gens sont ouverts, et c’est très agréable.

Quels sont les films ou réalisateurs coréens qui vous ont marqué ?

Jean-Pierre Dardenne : Il y a beaucoup de réalisateurs talentueux en Corée, mais j'ai personnellement été marqué par les films de Lee Chang-dong car ils ont un côté très réaliste. Ce sont les personnages, les paysages, les acteurs, les scénarios et surtout le rythme de ses films qui m’ont permis de découvrir et de rencontrer la Corée. Le cinéma, c’est beaucoup une histoire de rythme qui fait apprendre sur l’intériorité d’une population et d’un pays. Je veux parler ici du rythme entre le dialogue et les silences des personnages, qui sont particulièrement remarquables dans Secret Sunshine (2007) et Poetry (2010).

Luc Dardenne : J'ai moi aussi beaucoup aimé les films de Lee Chang-dong et aussi ceux de Bong Joon-ho, comme Parasite (2019). Mais c’est vrai que l’empreinte des films de Lee Chang-dong reste plus forte parce que c’est un cinéma très réaliste. On ne peut pas attribuer ses films à tel ou tel « genre » de cinéma parce qu’ils ne suivent pas les codes habituels des thrillers ou des films noirs par exemple. Le casting est également époustouflant, je pense en particulier à Yoon Jung-hee dans Poetry et Jeon Jong-seo dans Burning (2018).

Est-il difficile de travailler ensemble sur un film ?

Luc Dardenne : On fait tout ensemble. On construit ensemble la structure à partir de laquelle le scénario est établi. Pour le tournage, les répétitions et le montage aussi, on s’y met à deux. Il n’y a pas de problèmes parce qu’on veut faire le même film depuis le début. Il n’y a pas de raison particulière qui expliquerait pourquoi ça fonctionne bien, c’est juste comme ça. Ou c'est peut-être parce qu’on a vécu la même enfance et grandi avec les mêmes parents ! (Rires).

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Luc Dardenne.


Vous placez toujours l'opprimé au centre de vos films.

Luc Dardenne : Je pense que c'est lié à la ville industrielle de Seraing (près de Liège, ndlr), où nous avons grandi et tourné la majorité de nos films. Les gens y étaient autrefois riches, mais la crise économique des années 70 les a fait sombrer dans la pauvreté. Les jeunes et les enfants ont été les plus touchés et se sont retrouvés en quelque sorte orphelins du jour au lendemain. Est-ce qu’on ressent une sorte de devoir envers ces personnes qui étaient avant au centre mais qui ne le sont plus ? Je ne sais pas, peut-être.

En dehors de Jeonju, de nombreuses séances spéciales mettent vos films à l’honneur en Corée et notamment à Séoul. Vous attendiez-vous à un tel intérêt de la part du public coréen ?

Luc Dardenne : C’est une bonne surprise ! On a toujours essayé de raconter, comme tous les cinéastes du monde, une histoire qui soit ancrée quelque part mais qui raconte quelque chose d’universel et qui ouvre sur d’autres contextes. Le cinéma doit être comme ça. Dans ce sens-là, bien sûr que Tori et Lokita intéresse un autre public que le public belge. Mais c’est quand même nouveau pour nous de voyager au Brésil, au Japon, au Pérou, car nous n’avions jamais vraiment bougé d’Europe. Même si nos films d’adressent à tout le monde, c’est une bonne surprise de voir que tout le monde s’y intéresse.

Qu'aimerez-vous dire aux lecteurs de Korea.net qui regarderont Tori et Lokita ?

Luc Dardenne : On espère qu’ils pourront devenir les amis de Tori et Lokita. En général, quand on est face à un étranger, on a tendance à avoir peur et à le voir comme une menace. Mais ici, on a surtout voulu montrer l’amitié entre deux enfants. Ce serait bien que les spectateurs réussissent à sentir cette amitié et à eux-mêmes devenir amis avec Tori et Lokita.


Tori et Lokita, de Jean-Pierre et Luc Dardenne. Sortie en Corée du Sud le 10 mai prochain.

etoilejr@korea.kr