La professeure de danse Chuyun Oh (deuxième à droite) pose avec ses élèves après leur spectacle au Petco Park de San Diego, en Californie, le 19 septembre 2023. Ce spectacle faisait partie du « Korean Heritable Celebration », commémorant l’héritage coréen des San Diego Padres, l’équipe de base-ball de la ville californienne.
Par Cao Thị Hà et Park Hye Ri, photos Chuyun Oh
Ils raflent les prix des plus grandes compétitions musicales et caracolent en tête des classements musicaux dès la sortie de leur nouveau titre. Les exploits des artistes de K-pop sont désormais largement connus de l’opinion publique sud-coréenne, mais aussi internationale. D’après les douanes coréennes, le montant des exportations d’albums de K-pop au premier semestre 2023 a augmenté de 17,1 % par rapport à la même période en 2022, pour culminer à presque 133 millions de dollars, la plus grosse valeur jamais mesurée.
Les États-Unis, plus gros marché musical du monde, sont loin d’être épargnés par la vague K-pop. C’est dans ce pays que la pop coréenne s’est le mieux exportée en 2023, à hauteur de 25,5 millions de dollars, derrière le Japon (48,5 millions) et maintenant devant la Chine, deuxième plus gros marché depuis 2012 (sauf en 2020).
Et ce n’est pas qu’un seul artiste qui brille. La liste est longue : Jimin de BTS au sommet du Billboard Hot 100 avec
Like Crazy, le groupe de filles Blackpink et ses deux prix aux MTV Video Music Awards, sans oublier Tomorrow X Together, Stray Kids et New Jeans qui ont chacun atteint la première place du Billboard 200. De nombreux groupes de K-pop, masculins et féminins, se démarquent par leurs résultats impressionnants dans les classements musicaux américains.
Là-bas, l’influence de la K-pop est devenue telle que l’université d’État de San Diego, en Californie, a décidé de créer un cours de théorie et d’histoire de la danse K-pop, une première en Amérique du Nord. À l’origine de cette initiative, Chuyun Oh, une Sud-Coréenne spécialiste de la K-pop, qui y enseigne cette nouvelle discipline depuis le semestre d’automne.
Elle-même chorégraphe, Chuyun Oh est passée par l’université Ehwa avant d’effectuer son doctorat à l’université du Texas à Austin, où elle a écrit une des premières thèses entièrement consacrée à la K-pop. Elle enseigne actuellement à l’université d’État de San Diego. Auteure de nombreuses publications scientifiques, Chuyun Oh dirige également un centre de recherche dédié à la danse et à la K-pop, le Oniz Lab. Son premier livre, intitulé
K-pop Dance: Fandoming Yourself on Social Media, sorti en juillet 2022, explore la danse K-pop, son évolution et son importance sur les réseaux sociaux, notamment dans la création de communautés de fans.
Korea.net s’est entretenu avec cette pionnière en termes de promotion de la K-pop aux États-Unis, pour qui la danse K-pop « résulte du travail de plusieurs générations d’artistes et d’industriels de la musique, plutôt que d’un effet boom ».
Chuyun Oh, professeure de danse K-pop à l’université d'État de San Diego, aux États-Unis.
Votre cours de théorie et d’histoire de danse K-pop s’ouvre à partir de cet automne. Qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir créer un tel cours ?
J’ai recommandé l’ouverture de ce cours dès mon arrivée à l’université, en 2017, à une époque où la communauté de fans de K-pop était déjà très importante aux États-Unis. Ici, du moins en Californie, toutes les universités ont au moins un club de danse dédié à la K-pop, de la même manière que le hip-hop ou de cheerleading. Mais c’est seulement à la sortie de mon livre en juillet 2022 que les procédures administratives ont véritablement débuté. J’avais en effet besoin de deux choses afin d’être autorisée à l’enseigner à grande échelle : un livre ou manuel qui allait servir de base à mes cours et prouver que celui-ci était pertinent, du point de vue académique. Je pense qu’il est essentiel que ce qui est enseigné à l’université reflète les goûts et les envies des étudiants, tout comme il est important d’enseigner les disciplines dites « traditionnelles ». C’est pour cette raison que j’ai décidé de proposer l’ouverture d’un cours dédié à la théorie et à l’histoire de la danse K-pop.
Cela n’a pas dû être chose facile d’intégrer un cours sur la K-pop dans le cursus d’une université américaine...
La plus grosse barrière a été celle des « traditions ». Tous les pays du monde ont tendance à d’abord mettre l’accent sur leur propre culture. Mais malgré le fait que les États-Unis soient un pays multiculturel, la culture américaine est toujours dominée par la culture « blanche ». La K-pop, en tant que de danse populaire asiatique, s’est donc confrontée à un double obstacle.
Qu’abordez-vous dans vos cours ? Quelles sont les réactions des étudiants ?
J’utilise mon livre
K-pop Dance: Fandoming Yourself on Social Media comme manuel pour aborder l’histoire de la K-pop et l’impact culturel de sa communauté de fans. En plus de la théorie, les étudiants de mon cours doivent présenter leur travail en danse, éclairage, costume et musique dès le début du semestre. Le « K-pop Dance Challenge », qui arrivera plus tard, leur permettra d’acquérir expérience pratique et créative et d’améliorer leur compréhension de la danse K-pop.
Les étudiants apprécient regarder des clips de K-pop en classe et écouter des anecdotes sur la première génération d’artistes. Je leur explique notamment comment la K-pop a influencé ma vie et mon adolescence, et en particulier comment j’avais copié les vêtements et le maquillage du groupe SES avant d’exécuter une de leurs chorégraphies lors d’un concours sportif, au collège. Par contre, s'ils maîtrisent le mot « aegyo », les noms des plus grands groupes de K-pop ou l’art de faire un cœur avec ses doigts, ils ont encore des difficultés à retenir la multitude de mots et d’expressions, ainsi qu’à les prononcer correctement.
Vos étudiants ont dansé eux-mêmes de la K-pop lors d'un spectacle, en septembre dernier. Les limites de votre cours semblent dépasser celles de la salle de classe...
Je pense que la danse K-pop, c’est comme la cuisine. Personne ne peut se revendiquer cuisinier en ayant uniquement regardé des vidéos sur YouTube. C’est pareil pour la danse K-pop. La plupart des gens ne la connaissent qu’à travers un écran, alors qu’en réalité, la danse K-pop requiert un immense travail d’équipe et de nombreuses compétences humaines qui n’apparaissent jamais à l’écran. C’est aussi en dansant et en regardant les autres danser qu’il est possible de savoir ce dont on parle vraiment.
Les étudiants du cours de théorie et d’histoire de danse K-pop de Chuyun Oh exécutent une chorégraphie de K-pop, le 6 septembre dernier.
Vos étudiants sont également montés sur scène lors du spectacle « Korean Heritable Celebration », commémorant l’héritage coréen des San Diego Padres, l’équipe de base-ball de San Diego, le 19 septembre dernier.
C’est la première fois dans l’histoire que la K-pop et la culture coréenne sont mises à l’honneur lors d’un rassemblement des San Diego Padres. Trois équipes incluant certains de mes étudiants se sont produites pendant 50 minutes, à l’occasion d’une audition ouverte. Je suis heureuse d’avoir participé à une telle rencontre d’échanges culturels entre la Corée et les États-Unis, sans oublier que 2023 marque le 70e anniversaire de l’alliance entre nos deux pays.
Outre BTS et Blackpink, de nombreux autres groupes de K-pop ont conquis les classements musicaux américains. Selon vous, qu’est-ce qui les rend si attrayants ?
Les idoles de K-pop, en plus de chanter et danser, sont habillées et maquillées à l’affut des dernières tendances. Ajoutez à cela la maîtrise de l’éclairage, du montage vidéo, du look des danseurs et d’une chorégraphie entraînante avec une attitude irréprochable sur et en dehors de la scène, et vous avez un véritable cocktail de perfection. C’est tout cela qui séduit. Mais je pense que la K-pop, telle que nous la connaissons aujourd’hui, est le résultat du travail de plusieurs générations de danseurs et de professionnels de l’industrie musicale. C’est parce que la qualité de leurs performances se voit au premier coup d’œil que les groupes de K-pop sont si attrayants.
Dans votre livre, vous présentez les bases théoriques de la danse K-pop et l’approchez sous un angle académique. Pourquoi pensez-vous qu’une telle démarche est nécessaire ?
Tout art ou phénomène culturel qui n'est pas théorisé finit par tomber dans l’oubli et reste cantonné au statut de « tendance ». C’est encore plus vrai pour la danse. Mon expérience dans le domaine, de mes premiers cours de ballet à mes études de danse, m’a fait réaliser l’importance de la création de connaissances académiques. Parce qu’elles laissent des traces. J’ai commencé à écrire ma thèse sur la K-pop en 2012 parce que je pensais qu’elle s’était déjà imposée en tant que genre musical à part aux États-Unis. Elle a depuis beaucoup évoluée et est maintenant un genre musical reconnu dans le monde entier. Davantage de recherche sur les aspects culturels, historiques et sociaux de la danse K-pop favorisera ce processus de théorisation.
Vous devez avoir de nombreux projets en tête avec ce succès grandissant de la K-pop. Qu’avez-vous prévu pour plus tard ?
La Corée regorge de talents mais manque d’opportunités, au contraire des États-Unis. On me demande souvent, comme à San Diego Padres, de venir montrer de la K-pop. Si je suis extrêmement fière de pouvoir donner à mes étudiants l’opportunité de se produire sur scène, j’aimerais aussi réussir à collaborer avec des danseurs, artistes et idoles reconnus dans la K-pop. Pour le moment, mes cours de théorie de la K-pop sont populaires et l’université envisage de proposer des cours pratiques. Aux États-Unis, la passion pour la K-pop relève plutôt du loisir que du domaine professionnel, comme en Corée. C’est pour cette raison que j’aimerais faire participer des professionnels de la K-pop dans mes cours.
Je suis également en train d’écrire un deuxième livre sur mon expérience de professeure de danse K-pop. J’espère, à long terme, continuer à contribuer aux échanges culturels, universitaires et artistiques entre la Corée et les États-Unis, toujours par le biais de la K-pop.
shinn11@korea.kr