A Short Love Affair
Réalisé par Jang Seon-woo
Longtemps resté au chômage, le personnage d’IlDo, incarné par Park Joon-hoon, finit par décrocher un emploi dans une usine de textile qui fabrique des jupes. IlDo et sa famille emménagent dans un endroit plus proche de son lieu de travail. Ils s’installent donc à Umukbaemi, en périphérie de Séoul dans la province de Gyeonggi. IlDo se rapproche de l’une de ses collègues GongRye, assise juste à côté de lui. Le courant passe entre eux et très vite leurs relations dépassent le cadre professionnel. En fait, victime d’un mari violent et souffrant depuis des années, GongRye est séduite par la chaleur d’Ildo.
Le jour de la première paie d’IlDo, le couple décide de s’offrir une escapade d’une nuit en train et passe la nuit ensemble à Séoul. A leur retour à Umukbaemi, ils poursuivent en secret leur liaison passionnée. Mais leur relation est révélée au grand jour et les deux amants choisissent de quitter la ville pour s’installer ensemble dans la capitale. Bouleversée par la trahison de son époux et dévorée par la jalousie, l'épouse d’IlDo, interprétée par Yoo Hye-ri, les traquent et après plusieurs tentatives infructueuses, parvient à retrouver leur trace. Elle ramène de force son mari à la maison, l’arrachant littéralement à GongRye. Cette dernière décide de renoncer à se battre et rencontre IlDo pour lui dire un dernier au revoir.

Commentaire de Park Hye-young, chercheuse au Centre des Archives Cinématographiques de Corée Dans les années 1990, le réalisateur Jang Seon-Woo était au centre d’une polémique. Les thèmes qu’il abordait dans ses films et les concepts qu’il développait tranchaient avec ceux communément traités dans les films des années 1980. Je ne le définirais pas comme un homme d'avant-garde. Je pense, au contraire, que c’est au présent que nous devons nous interroger sur la façon dont il retranscrivait dans ses films la sensibilité et l’atmosphère de l’époque, ainsi que sur les étonnantes libertés qu’il prenait par rapport au canon cinématographique.
La production du film "A Short Love Affair", le troisième long métrage de Jang, a commencé en 1989 pour une sortie en salle en 1990. Or, 1989 est une année gravée dans la mémoire des militants d’extrême-gauche dont faisait partie Jang qui s'en souviennent comme l’année des chocs. En effet, c’est à la fin de cette année que le Mur de Berlin s’est écroulé et que le capitalisme a triomphé sur le réalisme socialiste. Les militants aspiraient à la démocratie, à l’émancipation sociale, au développement économique national et, par-delà cela, au capitalisme. L’année 1990 s’est ouverte sur la faillite des rêves et des espoirs des années 1980.
Ce film, "A Short Love Affair", a été produit et tourné en plein tumulte social. Il proposait une nouvelle forme de réalisme, plus proche du vécu des gens ordinaires et des caractéristiques traditionnelles du genre. On peut le comparer au réalisme traditionnel qui avait les faveurs des mouvements populaires. Pour beaucoup, ce film a ouvert une nouvelle ère cinématographique.
De toutes ses oeuvres, Jang aurait écrit "A Short Love Affair" au cours de sa période de transition personnelle. Le film est empreint de mélodrame, décrivant la vie, les rires et l’humour de gens du peuple vivant dans un village reculé. Il s’intéresse davantage aux gens, à leur souffrance, à leurs espoirs déçus et à leur amertume, qu’au réalisme politique auquel il était jusque-là attaché.
Le film est une relecture partielle d’un célèbre roman intitulé «la famille Wangrung» (traduction non officielle). Umukbaemi, où se déroule l’intrigue, est également présent dans le roman. Ce lieu fictif résume les thèmes évoqués dans le film. Dans le roman, il est décrit comme une petite bourgade près de Gimpo, mais dans le film la petite ville est située dans la province de Gyeonggi sur le point d’être absorbée par l’irrépressible expansion urbaine.

Dans un contexte marqué par les disparités sociales croissantes et les malversations liées à la spéculation foncière, les citoyens ordinaires démunis n'ont alors pas d’autre choix que d’emménager dans les banlieues des grandes villes. Les gens rêvent d'une vie meilleure, mais Umukbaemi est un lieu rongé par les luttes intestines, les inégalités croissantes et le fossé qui ne cesse de se creuser entre riches et pauvres. C'est aussi un endroit peuplé de personnes désirant quitter ce pauvre village qui abrite aussi les amours illégitimes d’Ildo et de GongRye. C’est là qu’échouent les gens ayant été obligés de quitter leurs foyers et où se développent des formes de solidarité sociales, les uns aidant les autres à se forger de nouvelles espérances.
Il s’agit d’une histoire d’amour d’un grand romantisme mais cette romance est condamnée par la société. Pourtant, les protagonistes ne parviennent pas à réfréner leurs sentiments. Lorsqu’ils se rendent compte de l’amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre, ils choisissent de partir aussi loin que possible, en prenant un train de nuit, préférant fuir le regard des autres. Même après leur arrivée à Séoul, ils hèlent un taxi et s’efforcent de trouver un endroit sûr dans la frénésie urbaine, ce qui fait écho au lieu de leur première rencontre, une serre sans voie d'accès. Plus ils font profil bas, plus leur désespoir augmente. La tristesse les envahit parce qu’ils ne peuvent laisser libre cours à leur amour à cause des conventions sociales.
Pour GongRye, cette liaison lui permet d’échapper à son mari, Park Seok-hee, à ses difficultés financières chroniques, comme à son comportement archaïque. IlDo cherche de la même façon à échapper à sa femme, la mère de JiHo, une femme qui n’a de cesse de le ramener à la réalité. Ils ne peuvent vivre leur histoire d’amour qu’en pointillé, et non au grand jour, la vie ne faisant que de brèves incursions. Ils continuent de lutter pour fuir la réalité, la liaison passionnée qu’ils entretiennent. C’est pourtant au sein de cette réalité qu’ils tendent de saisir chaque instant de bonheur, de vivre leur rêve même s’il s’agit d’un rêve impossible et illusoire.
Or, l’épouse d’IlDo nous rappelle le combat quotidien des gens ordinaires pour assurer leur survie et surmonter les aléas de la vie. Or, c’est à travers ce personnage que la vie et la réalité s’insinuent dans le film.
Le réalisateur adopte un point de vue chaleureux, s’efforçant de saisir la vie de ses protagonistes dans ce qu’elle a de plus cru, et le spectateur n’est pas insensible à cette quête où l’humour est loin d’être absent. Il est séduit par la puissance narrative du roman dont le film est inspiré.
Le réalisateur renforce les éléments visuels et sonores à travers un usage savamment orchestré de d’images comparant la vie et la province, ainsi que le recours à une musique et alliant la tradition à la modernité. Avec de tels rebondissements qui donnent au film sa vitalité, le long métrage entend décrire les tourments et le dynamisme de la vie quotidienne.
Le contraste saisissant entre le paysage urbain et celui de la province rurale est particulièrement bien rendu par le directeur de la photographie Yoo Yeong-Gil dans une scène du début du film. Nous apercevons, à travers la fenêtre du train, la famille d’IlDo en train de quitter la ville pour s’installer à Umukbaemi. La camera s’arrête sur une ligne d’horizon formée par des tours d’habitation très peuplées et des échangeurs urbains pris d’assaut par d’innombrables véhicules. Le paysage se transforme ensuite progressivement pour laisser la place à la province et à ces chantiers de construction, ainsi qu’à ses nombreuses terres cultivables partiellement exploitées.
Pour les gens qui n’ont rien, cette scène pourrait sembler cruelle et dure. Les ouvriers textiles qui travaillent toute la journée sur leurs machines sont certainement exténués. Et même durant ces moments difficiles, les gens qui habitent à Umukbaemi sont plein d’entrain. Dès qu’ils entonnent une chanson ensemble, ils parviennent à oublier leur vie de labeur où les moments de détente sont très rares. La musique traditionnelle joue un rôle essentiel dans le long métrage. Les hommes éclatent de rire quand ils s’assoient au sol pour boire un verre ensemble. C’est la musique traditionnelle jajinmori qui accompagne la scène où l’épouse d’IlDo's ramène son mari de force et ce choix et particulièrement judicieux car il renforce la tension dramatique.
Jang, dans ses oeuvres suivantes, ne reproduira jamais plus un tel schéma. "A Short Love Affair" aurait dû être son dernier long métrage pour clore le chapitre des années 1980 et le film pose de nouveaux jalons dans l’histoire du cinéma réaliste.
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