Par la journaliste honoraire Danielle Tartaruga de France
Le 24 mars s’est tenu à Aix-en-Provence un événement tout à fait particulier puisque l’Université de Provence a accueilli dans ses locaux 23 poètes renommés de la Société des Poètes sud-coréens. Ils ont fait le déplacement depuis la Corée du Sud pour un événement d’échanges poétiques avec la Société des Poètes français.
Affiche de l’évènement.
La Société des Poètes sud-coréens a été fondée en 1957 et est composée de 1 500 membres sélectionnés via un concours de poésie. C’est la plus ancienne des organisations littéraires de Corée. Elle a pour but de promouvoir l’art de la poésie et de faciliter la communication entre ses membres et le grand public. Tous les grands noms de la poésie sud-coréenne sont passés par cet établissement : Tchi-Hwan Yoo, Ji-Hoon Jo, Jung-Ju Seo, Seok-Cho Shin, Mok-Weol Park, Yoon-Sook Hong, Byung-Wha Jo, et bien d’autres.
La Société des Poètes français a été fondée quant à elle en 1902 par José-Maria de Hérédia, Sully Prudhomme et Léon Diercks. Reconnue d’utilité publique en 2003, elle a pour vocation première de contribuer à la défense de la langue française et au rayonnement de sa culture à travers l'art poétique. C’est la plus ancienne, la plus importante et la plus honorifique des Sociétés de Poètes en France. De grands poètes et écrivains furent membres de cette société : Louis Aragon, Jean Cocteau, François Mauriac, André Mauroy, Marcel Pagnol, Antoine de Saint-Exupéry, Paul Valéry, et tant d’autres.
Et le hasard fait parfois bien les choses. Le mémorandum de coopération entre les deux prestigieuses Sociétés de Poètes française et coréenne vient d'être signé ce 21 mars, au lendemain de la journée internationale de la francophonie.
Deux jolies langues qui seront mises au service de la poésie… un bel exemple d’amitié entre les deux pays.
Le séjour de cette prestigieuse délégation sud-coréenne s’est déroulé du 20 au 28 mars. Ils ont dans un premier temps été reçus à Paris à l’ambassade de Corée et au centre culturel coréen, où ils ont pu y rencontrer des étudiants en langue coréenne qui leur ont récité quelques poèmes en coréen.
Si ils ont été confrontés à de fortes perturbations liées aux grèves dans les transports lors de leurs déplacements, ils ont malgré tout réussi à se rendre dans le sud de la France, afin de rencontrer les étudiants provençaux.
L’amphithéâtre était bien rempli ce 24 mars, lorsque le président de la Société des Poètes sud-coréens, M. Ja-Hyo Yoo, a commencé à prononcer son discours de bienvenue.
Il a d’abord remercié M. l’Ambassadeur de la République de Corée Jai-Chul Choi pour son temps consacré à la célébration de l’événement lors de son séjour parisien, puis l’ancien président de l’Académie des Arts de Corée, le poète Geun-Bae Lee, ainsi que le poète Dong-Ho Choi, tous deux faisant partie de cette délégation venue en France.
Il a ensuite remercié son ami, le professeur Hong-Lai Jo, pour son aide active dans l’organisation de l’événement, ainsi que M. Jean-Claude de Crescenzo et son épouse Mme. Hye-gyeong Kim qui ont initié ce projet lors de leur séjour à Séoul en décembre dernier et Mme. Yejin Kim, qui était venue spécialement de Paris pour accompagner les intervenants et assurer la traduction.
Intervention de M. Ja-Hyo Yoo. © Danielle Tartaruga
Il fut ensuite rappelé à l'assemblée que les relations diplomatiques entre la France et la Corée furent établies en 1886. Par ailleurs, le premier hebdomadaire de Corée,
Taeseo Munyesinbo (journal de la littérature occidentale), créé en 1918, avait présenté des traductions de poètes français, tels que Paul Verlaine et Remy de Gourmont. On peut donc voir que le courant dominant de la poésie occidentale lue par les Coréens était celui de la poésie française.
Le poète Eok Kim avait traduit et publié en 1921 le premier recueil de poésie occidentale intitulé
La danse des tribulations. Parmi les 85 poèmes présentés dans ce livre, on trouvait 64 poèmes français. Ce recueil de traduction fut un
best-seller de l’époque.
L’influence de la poésie symboliste française a grandement marqué la poésie moderne de la Corée. Si les Coréens aiment toujours autant les poètes français comme Charles Baudelaire ou Guillaume Apollinaire, c'est probablement grâce à cette influence.
Intervention de M. Dong-Ho Choi. © Danielle Tartaruga
Plusieurs conférences de professeurs d’universités et de poètes se sont ensuite succédées devant le parterre d’étudiants en coréen de l’Université Aix-Marseille et de l’école coréenne d’Aix-en-Provence.
D'abord, M. Dong-Ho Choi a rappelé que les poèmes modernes étaient comme une défense culturelle dans un contexte d’occupation de la Corée par le Japon, surtout lors du mouvement pour la libération de la Corée du 1er mars 1919. Mais c’est en 1980, quand les étudiants et manifestants pro-démocratie étaient descendus dans les rues de Gwangju, dans le sud-ouest du pays, pour protester contre la loi martiale proclamée par le dictateur Chun Doo-Hwan que s’ouvre une nouvelle ère pour la poésie coréenne.
« C’est l’énergie et la force qui ont permis de vaincre ! », s'exclame-t-il alors. Durant cette période, l’influence des poètes français est importante.
Au XXIe siècle, la poésie coréenne se diffuse. Le président de la Société des Arts coréens précise alors que « l’énergie de la poésie est l’énergie des Coréens ». Il cite quelques grands poètes de l’époque, mais fait également référence aux chansons du groupe de K-pop BTS en disant que « les paroles de ces chansons reflètent parfaitement de la poésie coréenne. On retrouve dans leurs paroles une expression poétique, la vitesse de l’ère actuelle et aussi un message d’espoir ! »
« L’avenir de la poésie est l’avenir de l’homme.
Que doit faire la poésie dans l’ère de l’intelligence artificielle ?
On a besoin de redéfinir ce qu’est l’être humain. »
Autant de questions qui restent en suspens et que le professeur-poète partage avec le public étudiant. La poésie met l’accent sur l’émotion des hommes. Si la poésie disparaît, l’existence même de l’homme disparaît.
Intervention de M. Seong-ho Yu. © Danielle Tartaruga
Ensuite fut proposée par le professeur Seong-ho Yu une rétrospective de la littérature coréenne en France. Une histoire vieille de 140 ans qui démarre avec
Le Chant de la fidèle Chunhyang, texte fondateur de la littérature coréenne, qui fut traduit pour la première fois en français en 1870, avant d’autres traductions de romans tout au long du XXe siècle, en particulier dans la
Revue des deux mondes dont Claude Mouchard, professeur à l’Université de Paris VIII, est l'éditeur. Son rôle dans la diffusion de la littérature coréenne en France est donc important.
Il a ensuite rappelé le succès du livre
La vie rêvée des plantes publié chez Gallimard, parmi de nombreux autres ouvrages coréens publiés en France et surtout l’accueil très chaleureux accordé à la littérature coréenne lors du salon du livre il y a deux ans.
« La France et la Corée célèbrent plus de 130 ans d’histoire diplomatique. En revanche, la littérature coréenne commence tout juste à influencer la littérature française ! », s’est-il exclamé.
Pour conclure son intervention, le professeur Yu s’est adressé aux étudiants présents dans l’amphithéâtre et leur a demandé de servir de pont entre les deux pays, au travers de la poésie.
Intervention de M. Jean-Claude de Crescenzo. © Danielle Tartaruga
M. Jean-Claude de Crescenzo a ensuite donné une conférence sur la littérature et la poésie coréennes en France. Jean-Claude de Crescenzo a été maître de conférences à l’Université Aix-Marseille et est surtout connu pour y avoir fondé le département de coréen. Il a également créé sa propre maison d’édition consacrée à la littérature coréenne (éditions Decrescenzo, dirigée actuellement par son fils) et dirige la revue de littérature coréenne
Keulmadang.
Selon lui, il n’y a pas de dissociation entre la Corée et la poésie. « Toutes les personnes qui ont la chance de pouvoir découvrir le pays s’en rendent vite compte : les paysages et la poésie ne font qu’un en Corée ! », s'exclame-t-il.
M. de Crescenzo poursuit avec une rétrospective de l'édition de la littérature coréenne en France. Il précise que si au départ il n’existait que trois maisons d’édition qui s’intéressaient à la littérature coréenne, la vague coréenne (Hallyu) a fait que de nombreuses sociétés d’éditions sont devenues opportunistes et ont fini par s'y intéresser. Il parle d’« atomisation » ! En revanche, Philippe Doucet ou les éditions Circé sont encore à peu près les seuls à s’intéresser à la poésie coréenne en France.
Après avoir présenté deux poètes français, Yves Bonnefoy et Philippe Jaccottet, M. de Crescenzo insista sur la contribution importante de Claude Mouchard (qui dirige la revue
Poésie), au développement de la poésie en France. Il expliqua également le rôle de la revue en ligne
Keulmadang qui s’intéresse à la littérature et à la poésie coréennes.
Jean-Claude de Crescenzo rappela également toutes les initiatives prises avec son épouse depuis des années aussi bien dans le domaine de la poésie que de la littérature, collaborant avec le centre international de poésie de Marseille, créant des ateliers de traduction de poèmes coréens en français en 2016, mais également en invitant 30 auteurs coréens en France cette même année.
Je signale au passage que ce n’est pas un hasard si son épouse Mme. Hye-gyeong Kim s’est vue remettre en février par l’ambassadeur de Corée du Sud Jai-Chul Choi la médaille de l’Ordre du mérite civil, une très belle distinction. C’est le travail d’une vie pour ce couple de passionnés ! Ensemble, ils ont fait beaucoup pour le développement de la littérature, de la poésie et de la langue coréennes en France et en Provence en particulier.
M. Jean-Claude de Crescenzo a terminé son intervention en annonçant l’édition d’un recueil de poésies de Jong-Hwan Do par les éditions Decrescenzo et la création en 2024 d’un numéro spécial de
Keulmadang, sur le thème de la poésie. « La poésie coréenne doit se confronter à d’autres poésies pour offrir le meilleur », a-t-il précisé.
Le recueil de poésies écrites pour l’évènement et lues le 24 mars par leurs auteurs. © Danielle Tartaruga
Cette série de courtes conférences a été suivie par la lecture en coréen de 16 poèmes récités par leurs auteurs eux-mêmes pour le plus grand bonheur de l’assistance. La biographie de chacun des poètes était affichée sur grand écran ainsi que la traduction simultanée en français des textes récités.
C’est au poète Keun-Bae Lee que revint l’honneur de conclure cet évènement prestigieux, donnant l’envie aux jeunes d’aller vers la poésie, de tenter l’écriture, d’échanger ou de lire des poèmes.
L’après-midi se termina autour d’une collation, permettant ainsi à la délégation coréenne d’échanger sur le sujet avec les étudiants de l’Université Aix-Marseille.
Intervention de M. Keun-bae Lee. © Danielle Tartaruga
Il est permis de penser que le meilleur reste donc à venir, car le mémorandum qui vient d’être signé entre les deux Sociétés de Poésie sera l’occasion de beaux échanges : les cultures se nourriront l’une l’autre d’une belle énergie poétique, mise au service de l’écriture.
Les missions sont importantes, car il s’agit de faire renaître la poésie dans l'Hexagone, où entre 80 et 700 exemplaires de recueils de poésie sont vendus lors de leur édition. En Corée du Sud, les chiffres sont bien différents. Un auteur débutant vend environ un millier d’exemplaires quand les recueils à succès s'écoulent à plus d’un million d’exemplaires !
Preuve que les Coréens aiment la poésie ! Et selon moi, le « han », ce sentiment qui leur est propre, y est sûrement pour quelque chose !
La délégation des poètes coréens et les étudiants de l’Université Aix-Marseille. © Danielle Tartaruga
Moment d’échange entre les poètes coréens et les étudiants de l’Université Aix-Marseille. © Danielle Tartaruga
* Cet article a été rédigé par une journaliste honoraire de Korea.net. Présents partout à travers le monde, nos journalistes honoraires partagent leur passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.
caudouin@korea.kr