Par la journaliste honoraire de Korea.net Millie Chiron de France
© Moon Trio / Benjamin Chalat
À travers cet article, je souhaite mettre en lumière une personnalité que j’ai eu l’honneur de rencontrer et qui œuvre depuis de nombreuses années à promouvoir les échanges France-Corée, notamment avec son ensemble musical « Moon Trio ». Cette personnalité est Benjamin Chalat.
Diplômé en esthétique et pratique des arts à l’université de Lille 3 après avoir suivi un cursus de musicologie et lauréat d’un diplôme d’État de professeur de musique, Benjamin Chalat enseigne le saxophone à l’école municipale des arts de Wattignies, au conservatoire de la communauté de communes du pays Solesmois (près de Valenciennes). Il travaille également à l’école de musique de Villeneuve d’Ascq où il dirige deux orchestres, et est chargé de projets et de coordination pédagogique. Il est également directeur artistique de l’Association « Echo » et fondateur et musicien du Moon Trio.
Depuis l’enfance, il sait qu’il veut être artiste et que le saxophone l’accompagnera toute sa vie. Il me parle d’une « rencontre » avec cet instrument : « Avant tout, c’est un instrument de musique beau et séduisant, mais aussi facile d’accès car très ergonomique. C’est le dernier instrument à vent de l’orchestre qui a été créé ; il est comme le prolongement de la voix. »
À la fin de ses études musicales, Benjamin rencontre Pietro, un jeune musicien virtuose très prometteur. Ensemble, ils formeront un quatuor avec deux autres musiciens. Une dizaine d’années séparent Benjamin et Pietro, mais cela ne les empêche pas de devenir amis et de développer une véritable relation fraternelle qui s’exprimera par une complémentarité musicale et humaine rare et précieuse.
Benjamin, joue du saxophone baryton (le plus grave des quatre saxophones), il est tel la main gauche du piano. Pietro, lui, joue du saxophone alto (plus aigu), telle la main droite. À eux deux, ils forment un seul et même instrument.
Benjamin Chalat et Pietro Angellilo. © Moon Trio
À cette période, Benjamin fait une seconde rencontre déterminante pour sa vie. Il fait la connaissance de Bobae Kim, une jeune femme coréenne ayant quitté son pays natal à l’âge de 21 ans pour venir étudier en France et tenter l’aventure occidentale. Bobae est une chanteuse lyrique qui se produit à l’Opéra de Lille et sur de nombreuses scènes en France et en Europe. Elle possède des qualités vocales particulières : une large palette de couleurs et un grand ambitus qui lui permettent d’aborder un répertoire riche et de transmettre des émotions variées à son public à l’occasion des concerts.
Bobae Kim. © Moon Trio
Benjamin Chalat la décrit de la manière suivante : « Bobae incarne dans sa puissance vocale et sa dramaturgie les affects profonds des coréens et particulièrement le “Han”, cette “beauté douloureuse[1]” intimement liée à l’histoire du pays, élément essentiel de l’identité et la culture coréenne, celle d’un peuple historiquement opprimé par les différents envahisseurs en perpétuelle recherche de soi. »
Bobae et Benjamin tombent amoureux l’un de l’autre et se marient en France puis en Corée. Suite à la naissance de leur enfant « Moon », ils décident de former alors en 2017 avec Pietro le « Moon Trio » dont le répertoire « francoréen », pour reprendre son mot, est écrit sur-mesure pour les deux saxophones et la voix de Bobae. Mêler saxophones et voix est un parti pris du groupe particulièrement original et unique dans l’histoire de la musique.
© Moon Trio
Benjamin Chalat est, pour sa part, le descendant d’une famille polonaise. Ses ancêtres émigrent en France du côté de Lens à l’entre-deux-guerres. Elevé par ses grands-parents, il développe très jeune une palette de compétences artistiques : musique, arts plastiques, écriture, poésie, audiovisuel, etc. Son enfance empreinte de solitude, de douces rêveries, d’albums photos en noirs et blancs et de souvenirs d’un autre temps perdus au fond de greniers, façonne l’artiste qu’il est devenu aujourd’hui. Sa double culture franco-polonaise est une richesse précieuse car dès son plus jeune âge, il est fasciné par le « goût des belles choses » et l’art du costume qu’il a pu observer dans sa famille d’artisans couturiers. Le rapport à la création et au tissu perdure chez Benjamin Chalat puisque dans son groupe actuel le Moon Trio, les musiciens et la chanteuse sont vêtus chacun d’un hanbok, l’habit traditionnel coréen, mais modernisé et designé par ses soins, dans le but de trouver le mariage et l’équilibre parfait entre l’orient et l’occident, tant au niveau des formes que des couleurs (et leurs valeurs symboliques). Le costume traditionnel reste en effet un élément primordial dans la Corée contemporaine.
Image des tissus des derniers hanboks de Moon Trio. © Moon Trio
Benjamin Chalat m’explique que le Moon Trio veut incarner cette « beauté douloureuse », cette expressivité coréenne puissante, profonde et naturaliste mêlée d’une élégance et une intimité poétique à la française. À travers la musique, le Moon Trio se donne pour mission fondamentale de toucher le cœur et l’âme du public. Chacun de leur concert, souvent sur-mesure pour le lieu dans lequel ils se produisent (généralement des églises, des cathédrales en France, des salles de concerts ou encore des espaces naturels en Corée) s’organise autour d’un thème, un fil conducteur comme par exemple « les chemins de l’amour », « libre comme le vent », etc.
Le voyage musical dans lequel le Moon Trio nous emporte commence souvent par une fantaisie, une impromptue au caractère improvisé puis oscille, jongle, entre la musique française et la musique coréenne pour mieux les marier. Souvent les pièces coréennes sont jouées pour la première fois en France. Et c’est par un savant et patient travail de fond que Benjamin réécrit et réarrange de la musique souvent destinée pour des orchestres, pour des formations et des instruments autres que le saxophone. Ainsi, il développe un nouveau répertoire inédit et précieux permettant de faire connaitre la musique coréenne hors du pays.
© Moon Trio
Leur musique allie habillement airs d’opéra, de comédie musicale, de chanson française, coréenne, de musique pop et de musique traditionnelle.
Dans une démarche d’ouverture sur le monde, il leur arrive parfois aussi de jouer des musiques d’autres pays comme par exemple le Japon avec les œuvres du célèbre compositeur Joe Hisaishi connu pour ses bandes originales des films d’Hayao Miyazaki, et parfois également de Ennio Morricone, en respectant leur credo essentiel : la musique n’a pas de frontières.
Même si leur public ne comprend pas toujours le coréen, le Moon Trio veut inspirer et créer une connexion au-delà de la barrière de la langue. Ce trio musical souhaite également transmettre des valeurs humanistes telles que la « fraternité culturelle » entre les peuples incarnés par les différents membres du groupe et les œuvres jouées.
Ces différentes valeurs, Benjamin Chalat les concrétise dans son quotidien d’artiste entre la France et la Corée : « La famille est un pilier pour moi. Durant l’année scolaire, quand nous sommes en France, je passe beaucoup de temps avec mon fils, je l’emmène presque partout avec moi : aux auditions, aux concerts et parfois également durant mes cours de musique. Bobae est, quant à elle, intermittente du spectacle, elle peut être appelée à tout moment loin de chez nous, à Paris ou ailleurs en Europe. »
© Moon Trio
Le quotidien de la petite famille change chaque été lors de leur séjour en Corée : « En Corée, l’objectif de Bobae est avant tout de voir sa famille et ses amis après de longs mois passés loin des siens. Il y a également des concerts et festivals pour lesquels nous sommes sollicités mais nous faisons en sorte que tout fonctionne en équilibrant temps passé en famille et les moments professionnels. Les étés en Corée, c’est également le bonheur total pour notre fils Moon qui peut rester deux mois entiers avec ses grands-parents. Peu d’enfants de son âge peuvent profiter autant de leurs grands-parents. C’est une opportunité pour lui d’échanger avec eux en coréen. » Le cadre de vie en Corée est bien différent de la métropole lilloise. Les parents de Bobae sont agriculteurs, cultivent les pommes, et habitent au milieu des rizières dans la campagne coréenne (près de la ville de Geochang (province du Gyeongsang du Sud, centre sud du pays).
Rizières à Goje-myeon. © Benjamin Chalat
Cette année, Benjamin Chalat effectue son huitième voyage en Corée du Sud. Il m’a partagé son regard sur le pays. Il remarque que l’Europe, le vieux continent perd de sa vigueur tandis que la Corée devient une puissance mondiale et irradiante. Il note également que les coréens prennent conscience de l’importance de leur patrimoine et œuvrent aujourd’hui pour le protéger et le mettre en valeur.
En tant que musicien, il constate l’excellence de la Corée dans le domaine. « Lors de concours internationaux en chant, en musique, les coréens ont des facilités grâce à leur morphologie (richesses des résonateurs du visage) et des propriétés phonétiques et musicales de la langue coréenne. De plus en plus d’artistes coréens gagnent de grands concours et sont en train de conquérir la scène internationale classique. » Il décrit les musiciens coréens avec lesquels il a pu travailler comme « rigoureux » et « très accueillants ».
De gauche à droite, Bobae Kim, Pietro Angelillo, Moon, Byeongho Tiger Kim et Benjamin Chalat. © Moon Trio
En dehors de son lien fort avec la Corée, Benjamin Chalat possède un ancrage amical et professionnel en France, dans la région Hauts-de-France et plus particulièrement sur la métropole lilloise où il enseigne et exerce ses activités musicales. Il intervient tous les ans depuis plusieurs années dans le cadre du festival « Les Estivales de la Treille », un événement organisé par l’Association des Amis de Notre-Dame de la Treille présidée par M. Didier Laleu. Cette année ce sont au total 60 chanteurs et choristes qui se sont produits sur scène avec le Moon Trio : les maîtrises et l’atelier chorale de l’école de musique de Villeneuve d’Ascq, l’Ensemble Vocal Hamadryade et l’Ensemble Vocal Adventi. Le Moon Trio s’est donné pour mission d’apprendre à faire chanter les enfants des écoles, les adultes de chorales et chœurs amateurs comme professionnels en coréen. La musique étant un moyen privilégié d’apprentissage, de partage d’émotions et de communion humaine.
Concert dans l’église Notre-Dame de la Treille pour « Les Estivales de la Treille ». © Moon Trio
Concert dans l’église Notre-Dame de la Treille pour « Les Estivales de la Treille ». © Moon Trio
Pour terminer, j’ai demandé à Benjamin Chalat s’il avait un message à transmettre à nos lecteurs de Korea.net. Voici sa réponse :
« On ne connaît pas encore vraiment la Corée. Pour la connaître, il faut la visiter, la voir, la ressentir. Il faut parler aux habitants, aller dans des lieux non touristiques. La Corée est à visiter par ses propres yeux. Il faut découvrir la Corée lente, la Corée tranquille, cette Corée où j’aime à me rendre et qui m’est devenue familière à mesure des années. Ce n’est pas la Corée du soju, c’est la Corée du makgeolli. Ce n’est pas la Corée des écrans, c’est la Corée des yeux, la Corée des parfums, la Corée vieillissante des ajummas, des petites maisons traditionnelles qui s’écroulent dévorées par les herbes folles, des villages qui silencieusement s’affaissent puis disparaissent dans l’oubli… »
Je remercie vivement Benjamin Chalat pour cet entretien et ce beau portrait du Moon Trio.
Pour suivre l’actualité du Moon Trio, rendez-vous sur leurs réseaux sociaux :
Facebook,Instagram et
Youtube.
Cette interview a été réalisée le vendredi 7 juillet 2023 en présentiel à Lille.
[1] « Han, ou haan, est un concept coréen. Il désigne une forme d'émotion, principalement de chagrin ou de ressentiment. Il est tantôt considéré comme un élément essentiel de l'identité coréenne, tantôt comme une construction moderne et post-coloniale. » Source Wikipédia.
Pour en savoir plus, le concept du « Han » est également développé dans
cet article de Nathalie Fisz, journaliste honoraire pour Korea.net.
* Cet article a été rédigé par une journaliste honoraire de Korea.net. Présents partout à travers le monde, nos journalistes honoraires partagent leur passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.
caudouin@korea.kr