Par la journaliste honoraire de Korea.net Adriana Rabe de France, photos Sébastien Célimon
Affiche du festival World Wide Webtoon.
Lancé en 2022, le festival World Wide Webtoon est un événement annuel dédié à la célébration des webtoons. Ce festival met en avant cet art numérique coréen en pleine expansion en Europe. Son fondateur, Sébastien Célimon, a consacré sa carrière à se rapprocher de la création de bandes dessinées.
C’est en parcourant mon fil d'actualité LinkedIn que j’ai découvert cet événement. Profitant d'un déplacement professionnel à Annecy à l'occasion du Festival du film d’animation en juin dernier, j’ai échangé avec Sébastien afin d’en apprendre davantage sur ses projets ambitieux.
Après la deuxième édition du festival, Sébastien a accepté de répondre à mes questions le 21 octobre dernier, me permettant ainsi de plonger dans les coulisses de cet événement inédit en France.
Sébastien Célimon (à droite), entouré de jeunes participants.
Adriana Rabe : Bonjour Sébastien, merci beaucoup de prendre du temps pour répondre à mes questions. Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ? Quel est votre parcours ?
Sébastien Célimon : Bonjour, je m’appelle Sébastien Célimon et j’ai 47 ans. Depuis mon enfance, je suis passionné par la bande dessinée et en particulier comment elle se diffuse dans les autres industries culturelles. Tout naturellement, avec l’avènement d’internet, ses codes ont été questionnés dans le champ de l’écran. Cela a donné une myriade de créations intéressantes, pertinentes ou non. Côté parcours, j’ai un double cursus communication-journalisme. J’ai navigué entre ces deux pôles, avec comme objectif de me rapprocher le plus possible de la création BD, ce que j’ai fait en étant journaliste, blogueur au Monde.fr, directeur du numérique chez Glénat, un des grands éditeurs du milieu, puis enseignant-formateur, auteur d’essais sur la BD et le numérique pour arriver à créer un festival dédié au webtoon en Provence, entre autres aventures.
Comment avez-vous découvert le webtoon ? Qu’est-ce qui vous a plu dans ce format ?
J’ai repéré le webtoon depuis un bon moment, au travers d’échos diffus qui arrivaient d’Asie et du développement de Delitoon impulsé par Didier Borg. C’était il y a peut-être une douzaine d’années. Mais à ce moment-là ce n’était à mes yeux qu’une tentative comme d’autres, sans évidemment imaginer que celle-ci allait être adoptée massivement. Le format en lui-même réhabilite le feuilleton BD, un savoir-faire ancien qui a connu ses heures de gloire pendant des décennies en papier avant que la BD abandonne quasi complètement les prépublications en presse. Le format me séduit car il s’intègre dans un écosystème validé par le public et qui permet à des créateurs de s’exprimer et de vivre plus ou moins bien de leur création, ce qui est central pour moi.
Est-ce que vous lisez des webtoons ? Quelles sont vos séries préférées ?
J’en lis, mais c’est très irrégulier. Je n’ai pas vraiment de séries préférées, j’ai des coups de cœur ponctuels, tantôt pour un dessin, un esprit, une histoire qui m’amuse, me divertit ou me fait réfléchir. Je trouve excellent le côté trash et cynique d’
Everything is fine de Mike Birchall par exemple.
Préférez-vous lire les histoires sur Internet (téléphone, tablette) ou en version papier ?
J’ai pris l’habitude de lire toutes les bandes dessinées sur tablette, que ce soit des mangas, des comics, des BD franco-belges ou donc, ici, du webtoon. Je devrais m’appliquer à lire une histoire dans son format de destination originel, papier ou numérique, pour respecter le choix des auteurs, mais dans les faits je lis essentiellement sur tablette. Cela suit des obligations professionnelles, mais aussi, je dois l’admettre, une question de place : je ne sais plus où mettre mes albums papier !
Présentation de la KOTRA, agence coréenne de promotion du commerce et des investissements, lors des journées professionnelles.
Sur quelles plateformes lisez-vous habituellement ?
Les BD et comics sur Iznéo, les mangas Shueisha sur Manga Plus, les webtoons plutôt sur Naver Webtoon, sauf si j’en vois un dans mon radar que je veux absolument découvrir. C’est l’œuvre qui m’attire, pas la plateforme généralement.
Pensez-vous que le webtoon peut s’imposer de manière durable ?
Je pense que c’est déjà le cas en Asie et que ça devient significatif en Amérique du Nord qui baigne dans le webtoon depuis 2014. C’est à mon sens en cours et inévitable en France et en Europe. Surtout que des acteurs extrêmement puissants dans le champ éditorial vont bientôt avancer leurs pions, et forcément cela aiguise la curiosité. L'histoire commence à peine.
Pouvez-vous présenter votre festival ?
Le festival World Wide Webtoon est, de fait, le premier festival entièrement dédié au Webtoon en Europe. Il vient de vivre sa deuxième édition mi-octobre cette année à Monteux, près d’Avignon. Il se découpe en deux temps : des journées professionnelles, qui ont été très riches en contenus, prises de parole et qualités des participants, suivies de journées grand public, centrées sur les créateurs. Nous le pensons comme un laboratoire. Il a vocation à placer le webtoon sur la carte et sur les agendas, et dans son sillage de stimuler des synergies entre les acteurs des industries culturelles français, européens et au-delà. Nous avons également à cœur de tendre la main vers la Corée, où il est né, car nous sommes convaincus qu’un dialogue fécond est possible. Nous avons énormément à apprendre et à nous apporter mutuellement. La partie grand public a plus de mal à faire le plein, ce qui nous amène à nous questionner sur sa pérennité sous sa forme actuelle.
Présentation du ministère français des Armées lors des journées professionnelles.
Pourquoi et comment vous est venu l’idée de le créer ?
Habitant dans le Sud de la France, j’ai été approché par des acteurs du webtoon mais tous préféraient que je vienne sur Paris. Or mon choix de vie est de soutenir le développement culturel de ma région et donc de placer mes envies de webtoon chez moi. Il fallait rendre concrète cette conviction et créer un événement dédié me semblait le plus pertinent. C’était au tout début de la pandémie en 2020…
Quelles ont été les grandes étapes de sa création ?
Quand vous créez un festival, la première chose à faire c’est de trouver le lieu et de convaincre les acteurs de ce territoire de vous suivre dans cette étonnante aventure. C’est ce qu’a fait l’équipe municipale de Monteux et je lui suis infiniment reconnaissant. Après, il faut tenter de convaincre une à une les personnes impliquées dans le développement du webtoon, avec des fortunes diverses. Mais, à force persuasion et avec un effet d’entraînement vertueux, les choses se sont construites. Je suis reconnaissant à celles et ceux qui ont soutenu la démarche dès le départ et qui continuent de nous honorer de leur soutien.
Quels sont les acteurs du webtoon invités/présents au festival cette année ?
Aux journées pro, c'est une soixantaine de professionnels des industries culturelles qui sont venus : éditeurs, producteurs, auteurs, formateurs, journalistes, institutionnels français et coréens… J’ai en réalité été surpris de la richesse des profils et des sociétés qui ont souhaité être présents, d’ONO à deux ministères, au Centre national du livre, à l’Institut français, à des autrices de premier plan…
Côté grand public, nous avons eu l’honneur de recevoir justement plusieurs collectifs comme Eventoon (Lief, Cyann, Cécile Garcia, Goupeline, Art of K…), le NEB Studio, Makma… Ils représentent des dizaines de millions de lectures cumulées de leurs webtoons. Ce sont des personnalités hyper intéressantes et talentueuses !
Quel est le profil type des participants professionnels ?
Ce qui caractérise le plateau de participants c’est la variété, et ce qui les réunit c’est sans nul doute la curiosité et la richesse des échanges.
Avez-vous déjà participé à d’autres événements dédiés aux webtoons ? Qu'avez-vous pensé de ces expériences ?
Oui, bien sûr. Il y a eu des tables rondes ici ou là, un espace à Japan Expo tenu par le Webtoon Café et votre serviteur, des évènements pro réalisés par la KOCCA, l’agence coréenne de promotion des industries culturelles coréennes, dans divers festivals, ainsi que des rencontres par son homologue taïwanais, la TAICCA. Ces événements posent de nombreux sujets, servent à la pédagogie et favorisent évidemment les rencontres. Je ne peux pas aller partout mais ce foisonnement est bien sûr excitant. La Rochelle, par exemple, héberge une initiative également intéressante autour de Citytoon.
Derniers préparatifs avant l'ouverture du festival.
L'industrie des webtoons semble être en plein essor, d'un point de vue extérieur. Selon vous, à quels défis devront faire face les entreprises françaises pour rester compétitives face aux grands acteurs coréens ?
Vous parlez de compétitivité, je ne sais pas si ce terme est le bon. Ma conviction c’est qu’en France nous avons des talents extraordinaires capables de raconter et dessiner des histoires qui peuvent faire le tour du monde. Il faut les accompagner, les protéger, les financer et intégrer un système économique avec les épaules solides et une vision. Les Coréens ont appris de nous pour créer leurs industries culturelles, alors apprenons d’eux et allons-y !
Est-ce que vous avez des formations à recommander aux personnes qui souhaitent créer un événement dédié aux webtoons ?
Pas du tout. Je n’aurais qu’un conseil : consultez, entourez-vous, confrontez-vous, imaginez, créez et osez.
Salle comble lors des journées professionnelles.
Quels sont vos conseils pour les personnes qui voudraient se lancer et se faire une place dans l’univers des webtoons ?
Prendre le temps d’étudier, d’analyser, d’échanger, autant sur les succès que sur les échecs. Il n’y pas de voie royale, il y a, je pense, de multiples approches toutes aussi valables les unes que les autres. Ce qui compte, c’est de réussir à toucher le public, qui est l’ultime juge, et il faut s’interroger si on est OK ou pas avec cela.
Quels sont vos projets pour la suite ?
L’expérience m’a appris à avancer un pas après l’autre, mais j’ai la chance extraordinaire d’apprendre mes métiers au jour le jour. J’ai plusieurs activités de front. J’accepte que tout ne marche pas du premier coup. Je me concentre désormais sur l’édition de livres sur la culture et sur le festival, qui n’a pas fini d’évoluer. La seconde édition a été à nouveau riche d’enseignements, mais je ne peux pas tout dire et la réflexion est en cours. J'ai faim de créativité, de liens humains et de rencontres.
Retrouvez plus d’informations sur le festival World Wide Webtoon sur :
Site internet :
https://www.worldwidewebtoon.com/
LinkedIn :
https://www.linkedin.com/company/word-wide-webtoon-festival/
Facebook :
https://www.facebook.com/webtoonfestival
* Cet article a été rédigé par une journaliste honoraire de Korea.net. Présents partout à travers le monde, nos journalistes honoraires partagent leur passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.
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