Yeo-jeong et Do-yeong font une partie de jeu de go, dans la série Netflix « The Glory ». © Tudum by Netflix
Par la journaliste honoraire de Korea.net Solène Catella de France
Quatre fois millénaire, le jeu de go (baduk, en coréen) est l'un des jeux les plus anciens de l'histoire de l'humanité. Originaire de Chine, codifié au Japon et très populaire en Corée, le go, au même titre que la calligraphie, est devenu un héritage indéniable de la culture coréenne. Souvent comparé aux échecs, son présumé homologue occidental, cet article est l’occasion de revenir sur les origines du go et de s’intéresser à la philosophie dont relève ce jeu qui me tient particulièrement à cœur.
Retour sur l’histoire du go
Le jeu de go voit le jour en Chine durant la période Chunqiu, soit entre 771 et 453 avant J.-C. Les origines de ce jeu ne sont pas exactement connues, raison pour laquelle plusieurs légendes chinoises s’attribuent son invention. Selon l’une d’entre elles, l'empereur Shun aurait inventé ce jeu pour développer l'intelligence de son fils Sheng Kien ; une autre rapporte qu’il aurait été mis au point par un vassal souhaitant distraire son suzerain. Le jeu connaît un intérêt marqué dans les classes dirigeantes puis dans les classes populaires, si bien qu'à la fin de la dynastie Han (IIIe siècle) il est intégré aux 3 arts sacrés, parmi lesquels figurent la peinture, la musique et la calligraphie.
Bien des années plus tard, sous l’influence des moines bouddhistes chán, le go est introduit en Corée (Ve siècle), puis au Japon (VIIe siècle) où il connaît plus tardivement un essor sans précédent à l’époque d’Edo, sous le shogunat Tokugawa (1603-1867). Ce jeu devient alors très prisé par les chefs militaires japonais (shogun) et la noblesse militaire (samouraïs) en raison de son utilité supposée dans l’art de la guerre. Les premières écoles de go sont fondées, un système de classement est mis au point et de prestigieux tournois sont organisés. Ces années connaissent un véritable âge d’or du go, et l’apogée de très grands joueurs, aujourd’hui historiquement reconnus.
Joueurs de go de l'époque Sengoku. © National Diet Library
Sous la restauration de l’ère Meiji (1868-1912), ère de modernisation du Japon, le jeu de go s'efface peu à peu. Ce n’est qu’au XXe siècle qu'il retrouve son aura d’antan. Le jeu se structure durablement en Corée (création de la Hanguk Kiwon en 1954), ainsi qu'en Chine et à Taiwan. Introduit vers la fin du XIXe siècle en Europe, le go se popularise notamment en Allemagne et en Autriche-Hongrie, et s’exporte plus durablement à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. En France, à la fin des années 1960, le go suscite l'intérêt d'une poignée de joueurs qui se retrouvent à l'occasion pour jouer dans l'arrière-boutique d'un magasin parisien. Dans la foulée, le club de go de Paris est officiellement créé en 1969, suivi de la fondation de la Fédération Française de Go (FFG). En 1971, la France accueille son premier championnat de go individuel.
Le jeu de go se joue à deux sur un plateau quadrillé (goban) en 19 lignes horizontales sur 19 lignes verticales, qui définissent 361 intersections sur lesquelles les joueurs disposent leurs pions, appelés « pierres » (go-ishi). Comme son nom - emprunté au japonais - le suggère (igo, entourer), le principe du jeu est d’encercler à tour de rôle les pierres de son adversaire et d’étendre son influence sur le goban.
Les goban signés des joueurs participant au 43e championnat du monde amateur de go, à Shenzhen, en Chine, du 14 au 19 décembre 2023. © Compte Facebook de la fédération française de go
Le jeu s’articule ainsi autour de trois règles élémentaires.
1- Chaque joueur pose à tour de rôle une pierre sur une intersection de son choix, le joueur qui a les pions noirs jouant le premier.
2- Deux pierres ne peuvent être superposées sur une même intersection.
3- Une fois posées, les pierres ne peuvent plus êtres déplacées.
Chaque pierre est caractérisée par son nombre de « libertés », une pierre possédant autant de libertés que d'intersections libres autour d'elle (quatre au maximum).
Lorsqu'un joueur supprime la dernière liberté d'une pierre ou d'une chaîne adverse (ensemble de pierres connectées), il capture la/les pierre(s) et les retire du goban. La partie se termine lorsque plus aucune pierre n'est capturable. Celui qui a le territoire le plus vaste remporte alors la partie. Chaque joueur, lorsqu'il pose une pierre sur le goban, doit ainsi répondre à deux préoccupations essentielles : (1) bâtir son propre territoire et (2) empêcher l'adversaire de construire des territoires en les attaquant.
Pour équilibrer les chances entre joueurs de forces inégales, le joueur le moins expérimenté peut recevoir en début de partie un avantage, grâce à des pierres dites de « handicap ». Le niveau d’un joueur est déterminé par son « rang » relativement aux autres joueurs contre qui il a joué, et s’exprime en « kyu » (de 30 à 1) puis en « dan » (de 1 à 7).
La philosophie du go
Le go est souvent considéré comme un reflet de la philosophie orientale, tant il emprunte au taoïsme et au confucianisme.
Dans le jeu de go, dès les premiers échanges, il est question de chercher la vie et de la partager avec l’autre. La philosophie du jeu privilégie en effet un « partage de territoire » plutôt qu’un affrontement : chacun peut et doit trouver sa place sur le goban en s’adaptant à l’espace pris par l’autre. Cette recherche de l’équilibre rappelle évidemment la philosophie du yin et du yang, symbolique de la complémentarité des forces opposées. Aussi, s'il est inévitable de perdre certaines pierres au cours d’une partie, les joueurs doivent accepter momentanément ces pertes pour atteindre des objectifs plus significatifs.
Des jeunes participants au 12e championnat mondial de go jeunes, à Séoul, le 14 mai 2023. © Fédération coréenne de go
De par ses origines, le jeu de go transmet des valeurs et un mode de pensée profondément différents de ceux enseignées dans le monde occidental. Le respect de l’autre, la remise en question de soi, la vision d’un intérêt collectif supérieur et l’anticipation à long terme sont autant d’éléments que nous avons l’habitude de reléguer au second plan, et qui, dans ce jeu, sont plus qu'essentiels.
Bien plus qu'un jeu, le go, en véhiculant des principes sur l'équilibre, la patience, l'acceptation et l'adaptabilité, incarne une philosophie à part entière. Ces enseignements sont autant de piliers qui expliquent pourquoi le go a transcendé les frontières culturelles, et rassemble aujourd’hui plus de 40 millions de joueurs à travers le monde entier. Et pourquoi pas vous ?
* Cet article a été rédigé par une journaliste honoraire de Korea.net. Présents partout à travers le monde, nos journalistes honoraires partagent leur passion de la Corée à travers Korea.net.
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