Par Emmanuelle Fourneyron, journaliste honoraire de Korea.net
Port d’Envaux, petit village paisible niché dans un méandre du fleuve Charente, abrite depuis 20 ans un improbable lieu de sculpture en plein air : Les Lapidiales. Dans ce petit coin rural de Charente-Maritime, situé en région Nouvelle-Aquitaine au sud-ouest de la France, le travail de la pierre est une tradition millénaire, un métier qui a fait vivre des générations de carriers et de tailleurs de pierre, avant de connaître son renouveau récemment à travers les arts et la sculpture contemporaine de la pierre. Chaque année depuis deux décennies, l’association Les Lapidiales, fondée par l’artiste français Alain Tenenbaum, accueille en effet en résidence des sculptrices et sculpteurs venus du monde entier pour qu’ils créent des œuvres inspirées de leurs cultures.
Pour cette saison 2024, Les Lapidiales ont choisi de mettre à l’honneur les cultures de Corée et du Japon. C’est ainsi que la sculptrice coréenne Lee Jina a été invitée pour six semaines en résidence du 29 mai au 12 juillet 2024. Originaire de Paju, dans la province de Gyeonggi-do, et diplômée de l’Université nationale d'héritage culturel de Corée, Lee Jina sculpte la pierre, parce qu’elle se sent « connectée à cette matière, qui a toujours été sur Terre et qui restera pour toujours sur Terre. ». Dans la pierre calcaire de Charente-Maritime, elle lègue ainsi une sculpture mégalithe toute en sensibilité, en modernité et ancrée dans l’esthétique coréenne. A l’heure où elle termine sa résidence aux Lapidiales, elle livre quelques-uns de ses ressentis sur cette expérience hors-du-commun.
La sculpture « Nevertheless » de l'artiste coréenne Lee Jina, aux Lapidiales, Port d'Envaux, France - Calcaire 320 x 120x 120, 2024. © Lapidiales
Emmanuelle Fourneyron : vous terminez bientôt votre résidence aux Lapidiales. Quel bilan tirez-vous de votre venue ici ?
Lee Jina : C’est une des plus belles expériences de ma vie d’artiste ! Cet endroit est très spécial. On travaille au milieu des gens et de la nature. On entend le chant des oiseaux… Normalement, je travaille avec des outils électriques, qui sont très bruyants. Ici, ils ne sont pas autorisés. On doit travailler uniquement avec des outils manuels. Cela nous connecte avec les gens, avec la nature, avec la pierre. J’ai remarqué aussi que les arts sont partout dans les maisons des bénévoles de l’association…. C’est très intéressant, cela rend les arts et la sculpture vivants !
La sculptrice coréenne Lee Jina posant devant son œuvre en cours de création aux Lapidiales, en Charente-Maritime. © Emma
En quoi votre travail artistique est-il « coréen » ?
Je n’essaie pas de faire quelque chose de coréen ! Mais naturellement, je travaille comme cela. Mon esprit est coréen. Depuis que je vis dans un autre pays [NDLR : Lee Jina réside en Australie depuis quelques années], je me sens encore plus coréenne. Connaître ses racines et sa culture est une force ; c’est ce qui m’a amenée à étudier la sculpture traditionnelle à l’Université nationale d'héritage culturel de Corée. Mais aujourd’hui, je mêle dans mon travail des sources d’inspiration traditionnelles coréennes et de la création plus moderne.
Vue de côté de la sculpture « Nevertheless » de l'artiste Lee Jina, inspirée des coiffures traditionnelles des femmes coréennes. © Emma
Vue arrière de la sculpture « Nevertheless » de l'artiste Lee Jina, inspirée des coiffures traditionnelles des femmes coréennes. © Emma
Pour Les Lapidiales, vous avez choisi de réaliser une sculpture inspirée des coiffures traditionnelles des femmes coréennes. Pourriez-vous nous expliquer ce que signifie votre création ?
Dans la Corée ancienne, quand les femmes se mariaient, elles ne coupaient plus leurs cheveux. Elles les coiffaient en des chignons très élaborés. Au fil des années, cela devenait très lourd et même difficile à gérer quand elles vieillissaient. Je trouve que cela reflète très bien la vie : quand on grandit, on a de plus en plus de responsabilités, on doit prendre soin de sa famille…. A travers cette sculpture, je veux véhiculer ce message qu’il faut aimer sa vie car le temps passe. C’est aussi un peu un hommage à ma mère, qui disait toujours : « La vie continue, quoi qu'il arrive ». C’est un message d’encouragement à être plus fort. J’espère que les gens comprendront ce message… Certaines personnes me demandent si mon œuvre est féministe. Mais non, ce n’est pas le cas ! Ce message concerne aussi les hommes. Il est universel !
Comment allez-vous baptiser votre œuvre ?
J’hésite encore sur le nom, mais je crois que ce sera autour de ce thème que la vie continue…
L’œuvre de Lee Jina, qui a depuis été baptisée
Nevertheless par l’artiste, restera pendant un an visible du grand public sur le site des Lapidiales, avant de rejoindre sa place définitive, à quelques kilomètres de là, au sein de La Galaxie des Pierres Levées. C’est le nom donné au site d’exposition permanent en plein air, où sont exposées (et accessibles gratuitement) toutes les sculptures réalisées au fil des années par les sculptrices et sculpteurs des cinq continents, venus en résidence aux Lapidiales. La Corée sera ainsi présente pour l’éternité aux côtés des autres cultures du monde : un magnifique symbole de lien, d’humanité, de partage et de diversité !
Ouverte depuis mi-mai, la saison estivale 2024 des Lapidiales, quant à elle, sera clôturée par une grande fête dédiée au Japon et à la Corée lors du week-end des 7 et 8 septembre. Ponctuée tout l’été de différentes animations festives et culturelles, la saison des Lapidiales aura ainsi été aussi l’occasion de faire découvrir à un public local ou de passage nombreux – entre 50 000 et 100 000 personnes se rendent sur le site chaque année – d’autres pans de la culture coréenne. Ainsi, à l‘occasion d’un week-end festif dédié à la Corée les 20 et 21 juillet, les participants ont pu déguster de la cuisine coréenne, s’initier lors d’ateliers à la peinture traditionnelle Minhwa ou encore au travail de poterie céramique coréenne.
Le programme du week-end festif dédié à la Corée, aux Lapidiales fin juillet 2024. © Lapidiales
Les passants peuvent aussi découvrir sur le site les poèmes des auteurs coréens Kim Hyeon-Ju et Kim Chun-Sun, reproduits sur de grands draps flottants au gré du vent. Les cinéphiles ont quant à eux pu découvrir quelques chefs-d’œuvre du cinéma coréen à travers plusieurs projections spéciales des films
Parasite de Bong Joon Ho,
About Kim Sohee de July Jung ou encore
Mademoiselle de Park Chan-Wook.
Les poèmes des auteurs coréens Kim Hyeon-Ju et Kim Chun-Sun, mis en valeur sur le site des Lapidiales. © Emma
Pour en savoir plus :
- Sur le travail de Lee Jina :
https://www.jinaleearts.com/
- Sur les Lapidiales :
https://www.lapidiales.org/
* Présents partout à travers le monde, les journalistes honoraires de Korea.net ont pour mission de faire connaître et partager leur passion de la Corée et de la culture coréenne au plus grand nombre.
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