Par Lantou Onirina
On imagine souvent la Fashion Week parisienne comme un enchaînement de défilés, de podiums glacés, de silhouettes immobiles sur des talons qui grincent à chaque pas et de sourires contraints sous les flashs. Un univers qu’on pense figé dans le glamour et la course aux tendances. Pourtant, derrière les podiums, il arrive qu’un artiste, pour qui tout est première fois, goûte Paris autrement.
Parfois, on se retrouve, un peu par hasard, à tenir la louche et la caméra en même temps.
PJ, membre du groupe Big Ocean, n’avait jamais connu Paris lors de la Fashion Week. Entre défilés, shootings photos et rendez-vous, il a aussi vécu quelques escales plus intimes, organisées pour lui, loin des podiums et des flashs.
Quand j’ai accepté d’orchestrer une partie de ces instants, j’ai vite compris que cette semaine-là ne ressemblerait pas à un défilé de costumes immaculés. Elle serait faite de jus de fraise qui colle aux doigts, de sauce au vin rouge qui déborde sur une planche de bois, de pas de danse improvisés au milieu d’un Shiva à mille bras, et d’un bateau qui tangue sous le rire des fans tirées au sort.
J’étais là en tant que journaliste. Mais j’étais aussi la passeuse, l’organisatrice, l’artisan de passerelles entre la France et la Corée, celle qui relie les fils invisibles entre un idol curieux, un chef passionné, un danseur virtuose et un créateur qui ouvre les portes de son atelier à peine refermées sur le défilé.
Centre culturel coréen : premier rivage
Mais avant la culture française, il y a eu une première étape presque silencieuse. PJ a poussé la porte du centre culturel coréen de Paris, comme on ouvre un album de famille loin de chez soi. L’exposition dédiée à l’île de Jeju déroulait ses images de falaises volcaniques, de mandarines gorgées de soleil et de champs de thé battus par le vent.
Guidé par une médiatrice parlant coréen, il a pris le temps de parcourir chaque salle, d’observer les photos, les artefacts, de répondre aux questions des journalistes venus recueillir ses premières impressions en France. Un moment calme, presque protocolaire, qui a marqué le point de départ de sa Fashion Week à croquer.
Escale fruitée sur la Seine
De l’île de Jeju, ses vagues figées en images, aux flots tranquilles de la Seine, il n’y avait qu’un pas, ou plutôt un pont. Le lendemain, PJ pique des fruits sur une péniche, amarrée au cœur de Paris. Pour un membre d’un groupe qui s’appelle Big Ocean, tout semblait couler de source : cette semaine-là, l’eau n’a jamais cessé de relier les rives.
Sur une table, des fraises, des fraises, des pommes, des fruits du dragon et de la passion, du raisin, quelques brochettes. Face à PJ, le chef Atef Barbouche, le roi du fruit revisité, créateur chez LFL Creation. PJ est concentré comme un apprenti joaillier. Chaque bouchée devient bijou, chaque brochette un petit totem de partage. Quand tout est prêt, cinq fans, tirées au sort, montent à bord d’un petit yacht. Sur la Seine, les fruits collent aux lèvres, le bateau tangue, les rires glissent sur l’eau. Deux jours à Paris. PJ apprend déjà qu’ici, la mode est aussi une question de convivialité.
PJ de Big Ocean et Atef Barbouche. © Lantou Onirina
Mijoter à flot
Au petit matin, changement de décor mais pas d’esprit : un coq au vin sur la Barge 166, le premier chai flottant au monde.
Quand PJ m’a confié, quelques semaines plus tôt, qu’il rêvait de ce plat traditionnel français, je m’étais promis qu’un jour, j’exaucerais son vœu.
Dans le cadre de Chingu Lab, mon petit laboratoire d’échanges culturels, j’ai donc invité PJ à passer derrière les fourneaux, guidé par le chef Gabi Shafir. Avec dix-huit ans de service pour la famille royale marocaine, autant dire que le coq ne risquait pas de finir sec. Et comme nous étions sur le premier chai flottant au monde, abritant notamment les cognacs de la Maison Ferrand, la recette préparée par PJ allait être tout sauf traditionnelle.
On a donc sorti les ingrédients, aligné les caméras, planté quelques chaises sous un soleil de plomb. PJ a tout fait, ou presque. Laisser réduire le vin, plonger les aromates, dresser l'assiette… Les mains dans la sauce, les yeux dans la casserole, le sourire au coin des lèvres quand il a compris que, parfois, Paris se goûte plus qu’elle ne se visite.
Le plus beau ? Il a partagé. D’abord avec l’équipe, puis avec les images qu’on diffusera bientôt.
Le chef Gabi Shafir et PJ de Big Ocean. © Lantou Onirina
Et moi ? J’avais aussi quelque chose à goûter ce jour-là. Pour moi aussi, ce coq au vin a eu sa première fois. Une fois la sauce dégustée et les assiettes presque vides, j’ai ressorti la caméra pour tourner mon tout premier mini talk-show vidéo, cette fois, autour d’un petit cocktail préparé par l’hôte de la maison. J’avais déjà mené des interviews radio, pris des notes en coulisses, mais là, c’était une autre scène : PJ, les centaines de futs derrière nous, le verre à la main, quelques rires pour ponctuer mes questions. Un dernier goût de partage avant qu'il range son tablier.
Moi, entre deux plans serrés et une gorgée d’eau glacée, j’ai eu ce petit frisson : la première fois qu’un idol coréen mitonne un coq au vin sur la Seine, ça, c’est un souvenir qui mijote longtemps.
Moi-même et PJ de Big Ocean à la Barge 166. © Hanitsoa pour Chingu Lab
Une vague de danse
Quelques heures plus tard, Paris nous offrait une scène à ciel ouvert.
À deux pas de la Seine, sur l’esplanade de la Bibliothèque François Mitterrand, PJ avait rendez-vous avec quelques fans. Autour, d’autres danseurs occupent déjà le béton chauffé : ici, hip-hop, popping, K-dance, tout se croise sans prévenir.
Sur place, quelques membres du crew Pink Blood, danseuses qui avaient accompagné Big Ocean lors de leur concert parisien en avril, l’attendaient déjà. PJ les a retrouvées sous le soleil, a esquissé quelques pas, la chorégraphie de Attention, un sourire partagé.
Près de lui, ses fans sourient. Pas de coulisses, pas de projecteurs, juste une bande-son sortie d’un téléphone et l’envie simple de partager un rythme.
Une pause vivante, posée là, entre un plat mijoté et un avion à prendre quelques jours plus tard.
Remous silencieux
Lundi, place au silence. Au cœur du musée Guimet, le national des arts Asiatiques, PJ a rendez-vous avec Yann-Alrick Mortreux, danseur et chorégraphe qu’on a vu briller dans Danse avec les Stars.
Entre eux, les statues, les apsaras, Avalokiteshvara à mille bras et Shiva seigneur de la danse.
Sous la lumière tamisée, guidés par Arnaud Bertrand, conservateur passionné, ils déambulent. Une apsara dansante du Cambodge, un Bodhisattva vietnamien, un Shiva indien et bien sûr la galerie coréenne.
Les pas se répondent, les mains dessinent l’air, le souffle devient chorégraphie. Dans la galerie, ils partagent leurs histoires : pour Yann-Alrick, c’est une première fois aussi, celle de rencontrer un danseur professionnel sourd, croiser sa danse, échanger sans mots. Un instant suspendu, profondément parlant.
Sur le rooftop, ils posent enfin leurs pas, boivent un verre pour prolonger le silence et clore la visite. Dans leurs regards, je lis qu’ils viennent de toucher quelque chose d’indicible : un instant suspendu, où la danse devient langue commune.
Moi, j’étais là. Témoin discret. Passeuse de regards et d’émotions. Un pont, c’est ça, mon rôle.
Arnaud Bertrand, conservateur au musée Guimet, PJ de Big Ocean et Yann-Alrick Mortreux, danseur et chorégraphe. © Jean-Noël Viltard pour Chingu Lab
Essayage final : dernier courant
Avant de boucler ses valises, PJ a fait un détour chez Steven Passaro.
Trois jours plus tôt, la collection flambant neuve défilait sous les projecteurs ; ce jour-là, elle se posait sur ses épaules comme un voile de confidence. Dans le miroir, un reflet tout neuf : un artiste pas encore mannequin, un mannequin déjà artiste.
PJ s’observe, ajuste un col, redresse une manche. Un essayage, c’est plus qu’un vêtement : c’est une mue, un petit voyage intérieur.
Une façon de dire que la mode, au fond, c’est peut-être ça : s’essayer, oser, attraper au vol une part de soi qu’on ne soupçonnait pas.
PJ de Big Ocean chez Steven Passaro. © Lantou Onirina
Et moi dans tout ça ?
Moi, j’ai filmé, traduit, organisé, goûté. J’ai joué la passeuse, de goût, de geste, de regard.
Et aujourd’hui, j’écris. Pour vous raconter qu’à Paris, même la mode se laisse porter par le courant, une vague silencieuse qui relie Jeju, la Seine et Big Ocean : elle se croque comme une fraise, se cuisine comme un coq au vin et se danse comme un silence entre deux statues millénaires.
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