Journalistes honoraires

13.01.2023

Voir cet article dans une autre langue
  • 한국어
  • English
  • 日本語
  • 中文
  • العربية
  • Español
  • Français
  • Deutsch
  • Pусский
  • Tiếng Việt
  • Indonesian

Par la Journaliste Honoraire de Korea.net Danielle TARTARUGA de France

Il y a quelques mois, le Festival International Korea Fiber Art Forum de Suwon en Corée, a quelque peu attiré mon attention lorsque j’ai su qu’une Française d’origine Coréenne y exposait une de ses œuvres. J’avais déjà entendu parler du projet de Marie Lee en France, un projet très fédérateur ! En pleine période de pandémie « Pojagi Together » était tout à fait en phase avec l’actualité et visait à recréer du lien entre les adoptés coréens. Marie Lee a des doigts de fée (des petites mains de couturière), mais aussi un cœur d’or et elle a mis toute son énergie au service des autres, c’est ainsi qu’est né le projet « Pojagi Together ». Elle nous raconte…

Photo 1 : Marie Lee devant l’œuvre collective « Pojagi Together » ⓒ Marie Lee

Marie Lee devant l’œuvre collective « Pojagi Together » ⓒ Marie Lee



1/ Vous vous êtes spécialisée dans l’art du « bojagi » (보자기), pourriez-vous nous parler un peu de vous et de votre parcours artistique ?

Un « Parcours artistique » me semble un grand mot. Je dirais plutôt que c’est mon chemin très personnel et intime vers la beauté et un parcours qui a construit la personne que je suis aujourd’hui.

Je m’appelle Marie Lee, ce n’est pas Marie tout court, mais Marie Lee. J’ai gardé en mon prénom une partie de mon identité, identité de laquelle j’étais détachée pendant longtemps.

Pendant longtemps, j’étais Française, d’origine asiatique. Mais aujourd’hui, je suis Coréenne, adoptée en France il y a 45 ans. J’avais 5 ans. Je suis donc née à Suwon, en Corée du Sud. J’ai grandi pendant cinq ans là-bas. Mais d’après mon dossier d’adoption, mon enfance n’était pas heureuse. Je n’étais pas une enfant voulue… bref. Et cette partie de ma vie, mes cinq premières années d’existence, sont enfouies dans ma mémoire, c’est comme si ces années n’existaient pas. Et c’est long, les cinq premières années d’existence dans une vie. Et tout ce que je fais, ce que j’entreprends, ma quête actuelle, c’est essayer de les retrouver tant bien que mal. Peut-être est-il déjà tard, mais selon moi, il n’est jamais trop tard pour commencer.

L’art du bojagi coréen que je pratique aujourd’hui, s’est révélé à moi assez tard. Il faut dire que pendant une bonne partie de ma jeunesse j’ai fait comme si la Corée n’existait pas dans ma vie. Plus jeune, je voulais pendant longtemps devenir styliste et j’étais sensible à la beauté : j’étais rêveuse et collectionnais des belles choses qui m’entouraient, les jolies robes données, les poupées, les colifichets, et tout un tas de choses qui brillaient. Ma grand-mère maternelle (adoptive, je précise) m’a appris à coudre et tricoter vers l’âge de dix ans et ma mère (adoptive encore) m’a appris à crocheter par la suite. Je dévorais des livres de stylisme et des magazines de la mode.

Si je fais une rapide rétrospection de cette période, je pense que j’avais besoin de faire briller mon existence, de me faire acceptée et appréciée par ma nouvelle famille, Française, qui me donnait tant d’amour. Et je ne saurai jamais assez l’en remercier !

J’ai évidemment voulu devenir styliste mais mes parents ne souhaitaient pas ce métier pour leur fille adoptée, asiatique qui avait déjà eu assez de difficultés dans sa vie. Pour eux, j’ai dû abandonner mon rêve et travailler dans le milieu hospitalier. Mais je ne regrette pas. Aujourd’hui je m’occupe de personnes en situation d’handicap mental et m’occuper d’elles est pour moi une source d’inspiration et d’énergie, primordiale dans mon travail artistique.

Néanmoins, on ne peut pas se mentir à soi-même et ma personnalité me dictait d’aller (en parallèle de mon activité professionnelle) « nourrir mon âme » d’autre chose, le bel ouvrage m’attirait toujours de façon irrépressible. J’ai ainsi eu la chance de m’initier à la broderie auprès d’une ancienne brodeuse qui avait travaillé pour les maisons de haute couture. J’ai également pris des cours de patchwork pendant trois ans avec une artiste Franco-Américaine. En réalité, je n’ai jamais abandonné ma quête « du Beau », elle m’était essentielle pour vivre. Et de fil en aiguille, j’ai retrouvé la Corée et son art traditionnel que j’avais ignoré pendant tellement longtemps. La boucle était bouclée ! Et à partir de là, tout a été chamboulé dans ma vie.

Photo 2 A et photo 2 B : Illustrations du travail minutieux et esthétique de Marie Lee ⓒ Marie Lee

Illustrations du travail minutieux et esthétique de Marie Lee ⓒ Marie Lee


Photo 2 A et photo 2 B : Illustrations du travail minutieux et esthétique de Marie Lee ⓒ Marie Lee

Illustrations du travail minutieux et esthétique de Marie Lee ⓒ Marie Lee



2/ L’art du bojagi est très ancien en Corée, pourriez-vous nous expliquer en quoi il consiste et plus précisément nous expliquer ce qu’est le jogakbo ?

Le bojagi est un tissu coréen traditionnel qui sert à envelopper des choses dans la vie quotidienne. Il est apparu durant l’ère des Trois Royaumes de Corée (57 Av JC - 668 Apr JC). Dans la culture traditionnelle coréenne, le bojagi faisait partie intégrante de la vie quotidienne, aussi bien celle des nobles que celle du peuple.

Le jogakbo est une sous-catégorie de cet art du bojagi, il est composé de plusieurs petits carrés de tissus différents. Le jogakbo est confectionné avec des chutes d'étoffes et parfois avec des morceaux d'habits usagés. Les femmes coréennes dont la vie était souvent limitée à leur propre foyer, coupées du monde extérieur, gardaient soigneusement les petits morceaux de tissus inutilisés lors de la confection de vêtements et elles s'en servaient pour créer des jogakbo… J’adore d’ailleurs la sonorité de jogak (조각), qui signifie, petites pièces , fragments, bouts . Et ces petits jogak étaient ensuite réunis pour devenir quelque chose de plus grand, de plus beau et plus pratique. C’était du upcycling avant l’heure !

Le bojagi était souvent créé avec du tissu en chanvre et ramie pour le peuple , et en soie, en ramie et coton pour la noblesse, durant la Dynastie Joseon (1392-1910). Les bojagi avaient de multiples fonctions : pour envelopper des aliments, des boites, pour transporter des objets, des vêtements ou pour servir de couverture.

Les Bojagi en usage à la cour, ou chez les nobles, étaient en soie ou en ramie très fin et généralement ornés de magnifiques motifs brodés : fleurs, nuages, grues, chauves-souris, perles, idéogrammes… Cette catégorie de bojagi s’appelle le subo.

Les bojagi populaires étaient, eux, plus simples. Cependant, le peuple coréen, très imaginatif, a inventé au long de siècles toute une variété d’usages et d’objets alliant le côté pratique et esthétique : coussins, petites boîtes, pièces décoratives que l’on attachait à la bordure du col de la veste coréenne pour femmes baeja, etc.
Couramment utilisé durant la Dynastie Joseon, son utilisation signifiait que la chance et le bonheur (bok) étaient enveloppés dans un linge.

Ainsi, un objet joliment emballé signifiait respect et honneur aussi bien à l’objet qu’à son receveur. Il apportait chance et bonne fortune.

On pouvait distinguer ainsi deux catégories de bojagi(s) : kung-bo et Min-bo.

· Kung-bo était le linge qu’on utilisait dans la famille royale et à la cour. Un grand nombre de kung-bo de toutes tailles étaient cousus par des couturières du palais chaque année et étaient utilisés pour envelopper les présents donnés aux membres de la famille royale, incluant : des ornements personnels, des cuillères, la literie, l’ameublement. Le bojagi royal était souvent réversible et fait de soie, de couleur rouge et rose.

· Min-bo, était un linge utilisé par les gens du peuple. Bien moins formel que le « bojagi » utilisé par la royauté, « Min-bo » était constitué des restes de pièces de tissus.

Photo 3 : Un ouvrage jogak bo, de Marie Lee ⓒ Marie Lee

Un ouvrage jogak bo, de Marie Lee ⓒ Marie Lee



3 / Comment l’idée d’utiliser le bojagi pour créer du lien entre des adoptés Coréens a-t-elle germée dans votre esprit ? Et pourquoi ?

En avril 2014, je suis retournée avec ma famille pour la première fois dans mon pays natal la Corée, depuis mon adoption. Et là-bas, j’ai eu la chance de me faire de nouvelles amies Coréennes. L’une d’entre elles m’a appris l’art du bojagi. Et je suis vraiment tombée sous le charme de cet art traditionnel du bojagi.

Mais, je ne fais pas qu’imiter exactement l’art traditionnel de la Corée dans mon travail. C’est plutôt un mélange, un lien entre la Corée et la France, mes deux identités : le passé (tradition) et le présent, ou plutôt mon passé et mon présent. Cette combinaison me semble tellement naturelle. Rien n’a été calculé, j’ai juste suivi mon instinct. Etant admirative des beaux objets et étant par ailleurs éco-responsable, l’idée du bojagi (et surtout du jogakbo) s’est tout de suite imposée à moi, très naturellement.

Après avoir participé à une exposition à Paris, j’ai commencé à donner des cours, et à faire découvrir le bojagi à l’occasion d’évènements coréens en Europe.

Ce bouleversement, ces rencontres ont agi aussi sur un plan plus personnel : j’ai eu besoin de me rapprocher des adoptés coréens pour parler de nos histoires, souvent similaires ; parfois bien douloureuses.

Nous sommes quand même 200 000 enfants à avoir été adoptés à travers le monde !

Lors de mes cours, en groupes ou particuliers, j’ai reçu de nombreuses confidences et témoignages bouleversants ; des histoires parfois très dures à écouter, et qui m’ont fait beaucoup réfléchir. Je me suis demandée ce que je pouvais faire pour les aider.

Ecouter et donner des cours, c’est bien mais ce n’est pas suffisant.

Alors j’ai repensé à l’histoire du jogakbo, à ces chutes de tissus assemblées, reliées par un fil de couture... A ces femmes Coréennes qui gardaient précieusement chaque chute de tissu et qui les cousaient ensemble pour en faire un joli bojagi utile. Chaque être, chaque individu est comme cette petite chute de tissu, qui a besoin d’un fil pour être rattaché aux autres, à sa vie, à sa famille perdue ! J’ai pensé à toutes ces rencontres avec des adoptés et à ma petite sœur de Coeur Gemma. Je ressentais le besoin de raconter notre Histoire, et aussi le besoin d’être reconnus par la Corée.

Combien, nous, adoptés, nous nous sentons déracinés... combien nous avons besoin de nous reconnecter à notre terre natale. C’est avec cette idée, ce but ,que j’ai écrit le projet Pojagi Together.

Photo 4 : Un ouvrage jogak bo qui crée du lien entre les adoptés Coréens ⓒ Marie Lee

Un ouvrage jogak bo qui crée du lien entre les adoptés coréens ⓒ Marie Lee



4/ Pourriez-vous nous présenter le projet « Pojagi Together » ? Comment il s’est organisé ? Quels pays étaient concernés ?

J’ai proposé de composer un immense patchwork, d’assembler nos histoires, de les relier, pour bâtir une œuvre collective, comme un souhait de réparation. J’ai invité les adoptés coréens, à s’exprimer librement sur un carré de tissu. Car nous partageons les mêmes histoires, les mêmes joies, les mêmes souffrances, les mêmes questions. Nous pouvons nous apporter beaucoup les uns aux autres : bienveillance, compréhension, fraternité, entraide, amitié, résilience.

J’ai voulu aider à ma façon par le beau et la bienveillance. Tout seul on ne peut rien, mais ensemble on peut tout ! Voilà, le message essentiel du jogakbo. Grace à ce projet je suis ici et je peux vous montrer avec fierté ce que nous, adoptés coréens, avons réalisés. Ces carrés de tissus sont aussi une façon, pour certains adoptés qui ne pouvaient pas aller en Corée, d’être présents par ce textile. Chaque chute de tissu cousue ensemble se transforme en un grand bojagi, comme chaque enfant abandonné représente une grande communauté de personnes. J’ai voulu en quelque sorte remédier aux blessures profondes que tous les adoptés ont connues.

Si j’arrive à les aider à se faire « reconnaître » grâce à mon travail, c’est pour moi également une thérapie et nous entrons tous ainsi dans une dynamique positive.

Si je fais du bojagi aujourd’hui, je pense que ce n’est pas par hasard !

C’était dans mon ADN. Je créé comme je respire. Et c’est tellement mystérieux pour moi de retrouver cette passion pour le bojagi, après tant d’années de coupure et d’oubli ! Je m’y sens si à l’aise, comme si j’avais retrouvé ma maison natale en quelque sorte. Cet amour pour le bojagi est tellement fort que je suis aujourd’hui convaincue que ma mère biologique était couturière. J’ai été abandonnée par mon père, que ma mère aurait quitté. Mon dossier d’inscription ne dit pratiquement rien sur ma mère biologique ;ce projet a donc aussi pour but de la retrouver, ainsi que mes deux sœurs. (Oui, j’ai appris dans mon dossier d’adoption que j’avais deux sœurs.) A chaque fois, même aujourd’hui, quand je couds, que j’ai une aiguille dans ma main, j’ai l’impression d’être connectée à cette femme.

Photo 5 : Un ouvrage jogak bo qui permet de retrouver ses racines coréennes ⓒ Marie Lee

Un ouvrage jogak bo qui permet de retrouver ses racines coréennes ⓒ Marie Lee


5 / Comment avez-vous communiqué sur ce projet ? Quels pays étaient concernés ? Quels ont été vos partenaires ou sponsors ?

Le projet a été envoyé à l’Ambassade de Corée, au Centre culturel coréen, à HOLT International (organisme qui est en charge des adoptions), aux différents organismes et associations d’adoptions à travers le monde.

Il y a eu ensuite la création d’une page Facebook et Instagram « Pojagi Together ».

Tous les pays qui ont accueilli des coréens adoptés étaient concernés.

Le projet a eu le soutien de l’Ambassadeur de Corée et du directeur du Centre Culturel Coréen de Paris. Je n’ai pas eu de sponsors et j’ai investi personnellement pour le matériel (tissu, fils… etc). Beaucoup de mails ont été envoyés un peu partout dans le monde, à l’instar d’une bouteille lancée à la mer.

6 / Ce projet « Pojagi Together » a été exposé en septembre à Suwon en Corée, pourriez-vous nous parler du Festival International « Korea Fiber Art Forum » ?

Le FIBER Art accueille une exposition avec des artistes textiles du monde entier et c’est vraiment un mélange de styles ; c’était une magnifique exposition avec des bojagi(s) traditionnels et aussi modernes. J’étais très émue de pouvoir exposer les œuvres collectives « Bojagi Together » et « Peace » pour la première fois, dans la ville où je suis née. Ce fut une expérience enrichissante et incroyable de pouvoir discuter et partager avec des artistes de plusieurs pays.

Photo 6 A : L’affiche du Festival International « Korea Fiber Art Forum » ⓒ KFAF

Affiche du Festival International « Korea Fiber Art Forum » ⓒ KFAF



Photo 6 B : La seconde œuvre collective « Peace » présentée lors du Festival International « Korea Fiber Art Forum » ⓒ Marie Lee

La seconde œuvre collective « Peace » présentée lors du Festival International « Korea Fiber Art Forum » ⓒ Marie Lee



7/ Avez-vous d’autres projets pour l’an prochain ou les années à venir ?

- Je participe à l’événement « 123 Seollal » à Lille où je ferai des ateliers bojagi et aussi je montrerai quelques hanbok lors d’un défilé.
- La continuation et l’exposition de « Pojagi Together » à Paris et en mars 2023 aux USA, et ailleurs. - je prépare une petite fashion-week sur mon lieu de travail, sur le thème de la Corée.
- Une collaboration avec deux boutiques.
- des cours de bojagi un peu partout en France.
Et d’autres projets textiles qui seront dévoilés un peu plus tard. (Sourires)

Merci Marie Lee, nous espérons que tous ces beaux projets et cette énergie positive vous permettront de tisser des liens qui vous aideront également dans la recherche de votre maman et de vos deux sœurs.

Nous vous souhaitons le meilleur pour la suite, un vœu que nous formulons avec grand plaisir en ce début d’année !

Et je profite de cet article pour également présenter mes bons vœux 2023 à tous nos lecteurs … Une grande « Année du lapin » pour tous !

Informations complémentaires :
Les carrés de tissu traditionnels de Corée : revue N°18 Culture Coréenne 1989 ( p2 à p10 ) : https://www.coree-culture.org/IMG/pdf/18.pdf
Site de l’Exposition : 2022 EXHIBITION | KFAF 2022 (koreafiberartforum.com)
Page Facebook de la BIENNALE KFAF : (14) Koreafiberartforum | Facebook
Post de la CCC Paris sur l’exposition : (14) Facebook
Page Facebook de Marie Lee : Atelier Bojagi
Compte Instagram de Marie Lee : Atelier_Bojagi



* Cet article est rédigé par un journaliste honoraire de Korea.net. Notre groupe des journalistes honoraires est partout dans le monde, pour partager sa passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.

etoilejr@korea.kr