Journalistes honoraires

11.08.2023

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Par le journaliste honoraire de Korea.net Valentin Berty de France, vidéos 1theK et Cube Entertainement


Au milieu de la grande expansion de la K-pop, subsiste la question de l’objectivation des idoles féminines. Dans une société coréenne où le patriarcat est encore présent et les idoles sont soumises à leurs agences mais aussi à leur fans, il est difficile d’imaginer ces artistes lutter pour leurs droits. Et pourtant, il y en a. Qui sont-elles ? Comment font-elles ? À quoi sont-elles confrontées ? C’est là tout le combat de celles que j’ai nommé les conquérantes modernes.

Cachez ce corps que je ne saurais voir !

Il y a quelques semaines, nous apprenions qu’une association de parents d’élèves, avait porté plainte contre la chanteuse Hwasa pour comportement jugé indécent en public. L’objet de l’accusation ? La chanteuse a mimé un geste suggestif sur son sexe face à une centaine d’étudiants. Un comportement que certains ont qualifié d’« occidental ». Faisant certainement référence à des stars internationales de la pop comme Madonna ou Miley Cyrus, qui par le passé ont choqué le public avec leurs rôles d’icônes sexy. Mais pourquoi Hwasa, issue pourtant d’une industrie musicale où l’image d’artiste bien sous tout rapport est de mise, en vient à franchir cette limite ?

Si l’on compare le cas de Miley Cyrus et celui de l’industrie musicale coréenne, le parallèle est intéressant. La star américaine a totalement détruit son image d’adolescente mignonne construite par Disney, pour se dévêtir et s’afficher comme une adulte rebelle. Un besoin de rompre avec une image de poupée, mais surtout de montrer que ce corps lui appartenait. Et si Hwasa en faisait de même ? Si justement, elle cherchait à franchir une limite, celle du conservatisme et récupérer un droit fondamental, celui de disposer librement de son corps ?

Être une femme dans l’industrie K-pop, c’est compliqué. Être un femme qui revendique ses droits dans l’industrie de la K-pop, c’est un périple. Mais pourtant certaines ont fait bouger les choses et n’ont pas hésité à s’exprimer. (G)I-DLE, HA:TFELT, HyunA, Lim Kim ou encore Sulli, des femmes conquérantes qui se sont opposées aux diktats à leur manière.

« Sois belle et tais-toi »

À quel moment une idole femme perd la totale disposition de son corps ? Quand elle signe dans une agence ? Lorsqu’on la force à faire de la chirurgie pour entrer dans les standards ? Lorsque les fans se l’approprient et jugent les moindre détails de son physique ? L'« idole », est une représentation matérielle faisant l’objet d’un culte, mais à l’écoute, on entend aussi le mot « doll », poupée, en français. Entre « objet » vénéré par les fans et « objet » contrôlé par les agences, on comprend vite qu’il est difficile pour une idole d’avoir sa propre existence auto-gérée. C’est tout aussi vrai chez les hommes.

Cependant, un écart se creuse entre ce qu'une femme et un homme peuvent dire dans la sphère de la K-pop. Dans son interview pour le Korea JoongAng Daily, la journaliste Park HeeA, qui a interviewé de nombreux artistes de K-pop, explique la différence qui se fait entre le droit de parole chez les artistes masculins et chez les artistes féminins. Elle explique que « plus le féminisme se renforce dans la société, plus les groupes de filles devront s'en éloigner pour rassurer leurs fans masculins ». Car au sein de ce public masculin, il y a certainement des antiféministes. C’est donc prendre le risque de perdre de l’audience mais aussi de récolter une vague de haine sur les réseaux sociaux.

Extrait du clip de « Dumb Dumb » de Red Velvet, illustrant parfaitement la conception industrielle des idoles. © SM Entertainment

Extrait du clip « Dumb Dumb » de Red Velvet, illustrant parfaitement la conception industrielle des idoles. © SM Entertainment


L’exemple le plus évoqué est celui d’Irene de Red Velvet. Après avoir révélé avoir lu le roman Kim Jiyoung, né en 1982, une œuvre majeure du féminisme coréen, l’idole a reçu une vague de messages haineux et des photos à son effigie furent brûlées. Comme le souligne Park HeeA, « tout ce qui semble donner trop de pouvoir aux femmes peut être dangereux ». Des idoles féministes il y en a certainement, mais elle ne peuvent pas le dire, car la priorité, enseignée par les agences, c’est de maintenir la fidélité des fans.

Pourtant, depuis le mouvement #METOO qui a eu de l’ampleur en Corée du Sud, les actes se font et les langues se délient. Dans ce cas, qui peut donc parler ? La réponse est sans appel : celles qui s’affranchissent.

Les conquérantes modernes se soulèvent

Kim HyunA, ancienne membre du groupe 4Minute, est une des premières à avoir marqué le coup dans la K-pop. Après avoir été façonnée par son ancienne agence Cube Entertainment comme une icône sexy, la jeune femme a décidé de s’émanciper en enfreignant les règles imposées par ses supérieurs. En 2018, HyunA révèle sa relation avec le chanteur Dawn (issu de la même agence) au grand public. Dans les faits rien de grave, mais pour Cube, c’est une trahison, et le jeune couple est invité à prendre la porte.

Mais tout cela n’avait-il pas été anticipé par l’artiste ? Car un an plus tôt, elle sortait - son coup de maître à mes yeux - la chanson Lip & Hip, qui semble profiler le début de la rupture entre la chanteuse et son agence. HyunA n’est plus une petite fille, elle rêve d’amour, de sexe et de liberté. Un clip qui bouscule les codes mielleux de la K-pop et dévoile une jeune fille devenant femme. Et oui, à la grande surprise de certains, les idoles aussi ont une sexualité, des désirs et le font savoir !


Aujourd’hui, HyunA vit librement sa vie d’artiste, faisant ce qu’elle veut quand elle le veut. Rare sont les idoles comme elle qui peuvent se permettre de s’afficher à moitié nue et le corps habillée de tatouages sur les réseaux sociaux. Un cas qui semble à part, car toutes les artistes ne subissent pas le même accueil quand il s'agit de montrer son corps sur Instagram.

Sulli, ancienne membre du groupe f(x), a quant à elle subi une énorme vague de violence sur les réseaux sociaux pour avoir voulu disposer librement de son corps et se détacher des ficelles de l’industrie du divertissement. Parmi ses actions, on note son soutien pour le mouvement « no bra », en s’affichant publiquement sans soutien-gorge, puis portant un t-shirt mentionnant « girls supporting girls ». Malheureusement, le 14 octobre 2019, Sulli nous a quittés en mettant fin à ses jours. Et même si l'artiste n’a pas laissé de message précisant la raison de son geste, Il est fort à parier que cela est dû à la dépression vécue durant sa carrière et à cette vague de harcèlement.

Photo postée sur Instagram par Sulli qui lui a valu de nombreuses critiques en commentaires. © Compte Instagram de Sulli

Photo postée sur Instagram par Sulli qui lui a valu de nombreuses critiques en commentaires. © Compte Instagram de Sulli


Sulli était à part, elle n’entrait pas dans les normes et certains la qualifiaient d’avant-gardiste. Ce qui porte à croire qu’il faut s’éloigner du chemin de l'entertainement et des standards pour parler. Tout comme l’a fait la chanteuse Lim Kim en quittant son agence MYSTIC89 et en embrassant une nouvelle carrière, lui permettant d’exprimer ses messages de lutte.
Le recueil textuel de ses chansons est un exemple parfait. Tout d’abord à travers la chanson SAL KI. Pas besoin de chercher bien loin, le premier couplet propose une entrée en matière magistrale ! « Don’t identify self in male gaze / I'm raising my voice to be heard » (Ne pas s’identifier au regard des hommes / J'élève ma voix pour être entendue) puis en suivant, « Bigger the fights, bigger rewards » (Plus les combats sont importants, plus les récompenses le sont aussi), exprime une rage au fond de l’artiste qui compte bien s’opposer au modèle patriarcal. Sa chanson MAGO fait référence à la déesse coréenne du même nom et dont une seule phrase porte tout le propos de la chanson : « remember who starts the universe » (souvenez-vous de qui crée l’univers). Mago, la femme créatrice de l'univers, origine du monde, celle qui porte la vie et qui mérite plus que quiconque qu’on laisse son corps en paix !

Pourtant, pas de bruit autour de Lim Kim. Pourquoi ? Certainement qu’aujourd’hui l’artiste a moins de visibilité. J’en tiens pour autre exemple la rappeuse Ash-B, souvent en bikini dans ses clips, dans un registre très sexy, mais qui ne subit pas de telle vague, car elle n’est pas autant soumise au regard du grand public. Lim Kim a laissé son image d’idole derrière elle et a ainsi pu se détacher des chaînes qui la liaient à une agence ou à ses fans. Tout comme le montre la dernière scène de son clip YELLOW.

Lim Kim se défait de ses chaînes dans son clip « YELLOW ». © Universal Music Korea

Lim Kim se défait de ses chaînes dans son clip « YELLOW ». © Universal Music Korea


Le secret est donc là ? S’affranchir de la K-pop ? Là encore, ce n’est pas chose simple. Et la chanteuse HA:TFELT (ex-membre du groupe Wonder Girls) en a fait les frais. Le 10 mars 2022, elle poste sur Instagram une story avec un message : « pourquoi je suis devenu féministe ». S’accompagne à ça des captures d’écrans de messages haineux, se moquant de son âge ou de son physique. Deux jours auparavant, le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, en pleine période électorale, elle publie un rappel « que le vote d’une femme est égal » à celui des hommes. Une prise de position rare, mais qui montre là encore que faire passer un message de lutte féministe n’exclue pas une vague de reproches et de haine.

Les idoles d’aujourd’hui ouvrent la voie pour demain

Aujourd’hui, en 2023, les choses ont-elles évoluées pour que Hwasa se permette de mimer un geste sexuel en public ? Bien que les idoles se libèrent un peu plus, la démarche de l’association des parents d’élèves le prouve, le conservatisme est toujours là. Mais au final, Hwasa s'en préoccupe peu et a fait savoir lors du festival SUMMER SWAG 2023 : « j'avais vraiment peur que ma voix ne passe pas. Cela m'inquiétait plus que le procès lui-même ». Tout est entre les mains des artistes et il faudra plus d’un combat pour avancer.

Le cas le plus évident aujourd’hui s’étudie avec le dernier succès récent du groupe (G)I-DLE : le diptyque Allergy et Queencard pour leur dernier mini-album I FEEL. Les deux clips pointent du doigt le regard que porte la société sur les jeunes femmes et les idoles, sous la forme d’un teen movie américain. Nous suivons les aventures de Jeon Soyeon (leader du groupe) attirée par la magie du « bistouri » pour s’intégrer dans les cases sociales. Parallèle très évident avec l’industrie de la K-pop qui prône une beauté déifiée, où parfois les candidates auront plus de chances d’intégrer un groupe en passant par la chirurgie esthétique.

Le message de (G)I-DLE, toujours embelli par un plaisant sarcasme, est de faire prendre conscience à son public, qu’il doit s’aimer avant tout dans son corps. Et c’est leur chanson NXDE qui est le point névralgique de ce discours. « Why you think that 'bout nude? 'Cause your view's so rude » signifiant en français « pourquoi pensez-vous cela de la nudité ? Parce que votre regard est vulgaire », insiste sur le fait que le fond du problème ne vient pas du corps, mais du regard qui est porté dessus. Et le comble dans tout ça, c’est que ça marche ! Le groupe rafle de nombreux prix et leurs chansons tournent en boucle dans les rues de Hongdae et Myeongdong. Petit à petit, (G)I-DLE s’est imposé comme la référence actuelle en ce qui concerne l’émancipation féminine. Le public adore, mais la portée du message semble peiner à faire bouger les choses.


Récemment, un autre groupe féminin de la nouvelle génération aborde le thème de l’émancipation féminine à travers ses musiques. Il s’agit de LE SSERAFIM. Chaque comeback du groupe est assez parlant : FEARLESS, ANTIFRAGILE ou encore UNFORGIVEN. Chaewon, Eunchae, Kazuha, Sakura et Yunjin se dévoilent comme des artistes sans peur, robustes et veulent briser l’image de la femme docile (jusqu'à les rendre impardonnables à travers la chanson UNFORGIVEN).

Leur chanson Eve, Psyche & the Bluebeard’s wife est la plus évocatrice de cette émancipation féminine prônée par les filles. Le titre fait référence à trois femmes qui dans les récits bibliques, mythologiques ou de contes, ont possédé une image servile vis-à-vis de l’homme. Les filles usent de la dérision pour s'émanciper et clament leur hymne à l’instar de Cindy Lauper : Girls Just Want to Have Fun. D’ailleurs, Eve, Psyche & the Bluebeard’s wife a été reprise par les chanteuses BIBI, CAMO et Mirani, qui accentuent encore plus le propos dans leurs paroles et notamment cette dernière qui lance « I’m not your Barbie » (Je ne suis pas ta Barbie) et se rapproche parfaitement d’un moment clé de la chorégraphie où les membres miment un pantin (Eunchae) commandé par la marionnettiste (Chaewon).

Chaewon dirigeant son pantin Eunchae dans le clip « Eve, Psyche & The Bluebeard's Wife » de LE SSERAFIM. © HYBE

Chaewon dirigeant son pantin Eunchae dans le clip « Eve, Psyche & The Bluebeard's Wife » de LE SSERAFIM. © HYBE


Pourtant porté par des femmes, qui chantent qu’on les acceptera quoi qu’il en soit, le message de LE SSERAFIM peut tout autant toucher le public féminin que masculin. Leurs chansons abordent souvent les thèmes de la confiance en soi et qu’être en dehors de la marge est aussi une force à saisir. La liberté de son corps, d’être qui l’on désire, nous concerne tous. Un discours qui permet de réunir et de montrer que la lutte féministe peut aussi être une affaire d’hommes. En cherchant ce soutien aussi du côté du public masculin (très nombreux à soutenir LE SSERAFIM), c’est une opportunité pour le groupe de faire un pas de plus dans l’émancipation des idoles féminines. Le discours est percutant, sensibilise et conduit à une réaction positive de la part du public. Le succès de la chanson a d’ailleurs vu une troisième version sortir récemment.

Des victoires oui, mais…

Ne crions tout de même pas victoire trop vite. Ce sont les agences qui créent les concepts et se servent aussi de ce qui est fédérateur pour vendre. D’autant plus que malgré un recueil très parlant, jamais nous avons entendu les membres de LE SSERAFIM par exemple, parler de féminisme, de libre disposition de leur corps ou d’émancipation en interview. Comme l'a évoqué la journaliste Park HeeA, il y a un contrôle de la part des agences. Parfois pour protéger les artistes, parfois pour se protéger elles-mêmes.

Le corps des idoles est à la disposition de ceux qui les façonnent pour le public et cela laisse parfois des séquelles. Gayoung (ex-membre du groupe Stellar) garde un lourd traumatisme de la sexualisation subie tout le long de sa carrière au sein de sa formation. Ou encore le groupe 9Muses, dont les membres ont été principalement recrutées pour leur physique, comme on peut l'apercevoir dans le documentaire 9 Muses of Star Empire (2012).

Là est la différence entre HyunA ou Hwasa et les autres. Aujourd'hui encore, les membres de nombreux groupes de K-pop seront sexualisées parce que l'agence l'aura décidé ainsi. Mais HyunA et Hwasa l'auront décidé elles-mêmes. Car malheureusement, toutes les idoles ne sont pas égales dans leurs droits.

Certes, les exemples d'actes d'émancipation ou féministe ne sont pas nombreux, mais ils ont le mérite d’exister et sont toujours très bien représentés. Ce qui reste le plus important, c'est qu'on en parle toujours actuellement. Tout cela continuera à faire du bruit, à déranger et pour que les mentalités changent, il faut parfois les secouer. Petit à petit, l'héritage de (G)I-DLE, HA:TFELT, Hwasa, HyunA, Lim Kim ou encore Sulli, persiste. Alors, touche à ton corps !


* Cet article a été rédigé par un journaliste honoraire de Korea.net. Présents partout à travers le monde, nos journalistes honoraires partagent leur passion de la Corée du Sud à travers Korea.net.

caudouin@korea.kr