De gauche à droite : paysage de montagnes par Uijae, portrait de Uijae et peinture de fleurs par UIjae, exposées au Uijae Museum of Korean Art. © Emmanuelle Fourneyron
Par Emmanuelle Fourneyron
Le peintre Uijae, de son vrai nom Heo Baek-ryeon (1891-1977), fut un des derniers artistes à vivre et pratiquer son art selon la tradition de la peinture lettrée coréenne, alliant la calligraphie, la peinture et la poésie. À l’orée du parc national du Mudeungsan près de Gwangju, un musée lui est dédié. Ne manquez pas la visite de ce lieu hors du temps : une occasion rare de découvrir la vie et l’œuvre délicate de cet artiste !
Uijae naît en 1891, dans le district de Jindo, dans l’actuelle province du Jeolla du Sud. Sa jeunesse ne le prédestinait pas de prime abord à devenir artiste-peintre : il entame d’abord des études de droit, au Japon, qu’il abandonne finalement pour rentrer en Corée. Il étudie alors la peinture auprès de maîtres, lit la littérature : Uijae est un des derniers artistes coréens à vivre en érudit, selon la tradition de la peinture lettrée.
Peinture lettrée de Uijae, exposée au Uijae Museum of Korean Art. © Emmanuelle Fourneyron
La peinture lettrée est une tradition ancrée dans l’héritage coréen. Développée en Chine à compter du 12e siècle, elle s’est progressivement étendue à la Corée où elle connut son apogée au 18e siècle. À cette période, la Corée est connue sous le nom Joseon, dynastie qui a régné sur près de sept siècles, de 1392 à 1910, et profondément influencée par le confucianisme, qui façonne le système moral, le mode de vie, les relations sociales, la culture et l’éducation. Parmi cet héritage confucéen, l’éducation littéraire, ainsi que les examens de la fonction publique étaient la porte d'entrée du prestige et du pouvoir.
Sous l’ère Joseon, plusieurs formes de peinture coexistent en Corée. La peinture populaire, dite Minhwa, est une peinture folklorique, essentiellement décorative, marquée par sa recherche symbolique forte ancrée dans les croyances populaires (voir
cet article consacré à la peinture Minhwa). La peinture bouddhiste, principalement destinée aux temples et édifices religieux, se distingue, quant à elle, par son iconographie bouddhique et ses couleurs intenses. Elle perd toutefois son influence au fur et à mesure que le confucianisme supplante, en Corée, la tradition bouddhiste. La peinture de Cour est destinée à orner les palais et demeures privées des aristocrates. Elle est caractérisée par des œuvres richement colorées, souvent réalisées sur des toiles de grandes dimensions, des paravents, des rouleaux suspendus ou des fresques murales. Enfin, la peinture lettrée, dite Muninhwa, est une forme d’art plus épuré et naturaliste, réalisée à l'encre noire et avec des couleurs discrètes, sur de la soie ou sur du papier de mûrier.
Peinture lettrée de paysage par Uijae, exposée au Uijae Museum of Korean Art. © Emmanuelle Fourneyron
La peinture lettrée nécessite la maîtrise de trois formes d’art : la calligraphie, la peinture et la poésie. Elle est pratiquée par une élite intellectuelle formée, la plupart du temps des nobles ou des fonctionnaires ayant réussi le concours de l’administration royale. Leur art ne cherchait pas tant à exprimer leur créativité qu’à perpétuer une morale confucianiste et une tradition littéraire via une expression artistique. La sobriété et la modération dominent ainsi dans cet art, ancré principalement sur la représentation de la sérénité de la nature. Les quatre « plantes nobles » (bambou, chrysanthème, prunus, orchidée – qui représentent aussi les quatre saisons), les paysages, les fleurs, les oiseaux et animaux en sont les thèmes principaux. À l’inverse de la peinture lettrée chinoise, il y a peu d’inscription sur la peinture lettrée coréenne : l’influence de la calligraphie se trouve avant tout dans les traits de peinture et la précision du pinceau. Pour les lettrés fidèles aux règles confucéennes et à ses vertus primordiales (la fidélité, la sagesse, la bienséance, la droiture et la bienveillance), la peinture fait partie intégrante de l’accomplissement de soi. Ils devaient ainsi vivre une vie juste.
Paysage de montagnes par Uijae, exposé au Uijae Museum of Korean Art. © Emmanuelle Fourneyron
C’est fidèle à cet héritage que Uijae s’établit, en 1937, près de Gwangju, dans la vallée du temple Jeungsimsa, dans ce qui est aujourd’hui le parc national de Mudeungsan où se situe le musée. Il y vit une vie simple et harmonieuse. « Aimer les trois amours, le ciel, la terre et l’humanité » : tel fut le principe qui a guidé son œuvre et sa vie. Outre une vie essentiellement dédiée à la pratique artistique et à l’enseignement de son art, il y organise aussi des rencontres sur la poésie et la calligraphie pour développer la peinture coréenne traditionnelle. Il appuie également des œuvres sociales, notamment la création d'un lycée technique agricole afin que les jeunes issus de familles en difficulté puissent apprendre les techniques agricoles. Et il reprend un champ de thé à côté du temple Jeungsimsa. Son thé, nommé Chunseolcha, est encore produit aujourd’hui.
Le temple Jeungsimsa, dans le parc national de Mudeungsan. © Emmanuelle Fourneyron
C’est non loin de là où Uijae a vécu que le Uijae Museum of Korean Art voit le jour, en 1999, dans un bâtiment à l’architecture moderne, qui a valu à son créateur, l'architecte Jo Seongryong, le 10e grand prix d'architecture coréenne en 2001. L’œuvre de Uijae qui y est exposée est essentiellement consacrée à l’harmonie de la nature qui l’entoure. On retrouve ainsi au musée de splendides peintures de paysages, notamment de montagnes.
Paravent peint par Uijae, selon la tradition de la peinture lettrée, exposée au Uijae Museum of Korean Art. © Emmanuelle Fourneyron
Le musée expose aussi des peintures de fleurs et d’oiseaux.
Série de peintures d'oiseaux, exposée au Uijae Museum of Korean Art. © Emmanuelle Fourneyron
Le musée conserve également une reconstitution de son atelier de travail, où l’on peut observer la sobriété épurée de son mobilier de bois, ainsi qu’un service de thé pour celui qui fut un grand amateur de la cérémonie traditionnelle de thé.
L'atelier de Uijae, reconstitué au Uijae Museum of Korean Art. © Emmanuelle Fourneyron
À travers ces œuvres délicates, c’est toute une mémoire de la peinture lettrée coréenne et d’un certain art-de-vivre qui nous est léguée par Uijae. Si la plupart des musées nationaux de Corée exposent des peintures lettrées, le Uijae Museum of Korean Art de Gwangju nous offre une immersion émouvante dans une tradition qui a puisé ses sources dans la Corée ancestrale. Le musée est en outre situé dans un cadre enchanteur, à l’entrée du parc national de Mudeungsan et ses chemins de randonnée forestiers. Entre culture et nature, de quoi remplir une belle journée hors du temps !
* Présents partout à travers le monde, les journalistes honoraires de Korea.net ont pour mission de faire connaître et partager leur passion de la Corée et de la culture coréenne au plus grand nombre.
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