Par Lantou Onirina, journaliste honoraire de Korea.net

Big Ocean, premier groupe composé uniquement de membres malentendants, incarne l’esprit d’excellence propre à la K-pop. Comme tous les groupes du genre, ils ont suivi un parcours de formation exigeant, axé sur le perfectionnement du chant, de la danse et de l’image. Malgré leur handicap, les membres de Big Ocean se sont investis pleinement dans ce processus, respectant les standards élevés du métier.

J’ai eu l’immense plaisir de les interviewer tous les trois le 9 septembre et de constater que leur engagement montre que, malgré les défis, ils honorent les valeurs fondamentales du genre, alliant tradition et passion dans chacune de leurs performances.

Un groupe formé selon la tradition de la K-pop

Lorsque Big Ocean fait ses débuts sous Parastar Entertainment le 20 avril 2024, journée dédiée aux personnes handicapées en Corée, personne ne savait exactement à quoi s'attendre. Composé de Hyunjin, Chanyeon et Jiseok, trois artistes au parcours unique, le groupe est devenu le premier trio de K-pop composé de membres malentendants. Leur lancement sur la scène coréenne, avec leur single Glow, a immédiatement suscité l'attention, établissant Big Ocean comme un groupe à suivre de près.

L'histoire de Big Ocean est nourrie par des rêves et des défis partagés. À l'origine, aucun des membres du groupe ne se connaissait. Leur rencontre s’est faite sous l’égide de leur agence, un peu par hasard et beaucoup par nécessité.

Lantou Onirina : Qu'est-ce qui a inspiré la création d'un tel groupe ?

Hyunjin : Le concept de Big Ocean est né de notre désir de créer un lien avec des personnes venant de différents horizons grâce à la musique. L'intégration de la langue des signes s'est imposée comme une extension naturelle de cette vision. La musique est universelle, et en utilisant la langue des signes, nous espérons transmettre notre message à tous, quel que soit leur niveau d’audition.

Chanyeon : Oui, combiner musique et langue des signes nous a permis de créer un pont entre les communautés. Il était important pour nous de montrer que la musique peut rassembler les gens de manière significative. Même si nous ne nous connaissions pas avant la formation du groupe, notre mission commune de rendre la musique plus inclusive nous a rapidement unis.

Avant de rejoindre Big Ocean, les membres avaient tous des parcours très différents. Pendant ses études, Hyunjin a lancé une chaîne YouTube abordant les idées reçues et les malentendus concernant les personnes malentendantes. Chanyeon travaillait comme audiologiste à l'hôpital universitaire de Corée. Jiseok, quant à lui, était un ancien athlète paralympique en ski. Cette combinaison de talents a enrichi le projet Big Ocean, rendant leur message encore plus fort.

Sous la direction de Haley Cha, PDG de Parastar Entertainment, le groupe a commencé une formation intense, y compris l'apprentissage de différentes langues des signes : la langue des signes coréenne (KSL), mais aussi l'International Sign Language (ISL) et l'American Sign Language (ASL). Ces compétences permettent aux membres de créer des connexions plus profondes et plus authentiques avec leurs fans, les Pado (ou vagues en coréen), à travers le monde.

Comment s’est déroulée votre période de formation ? Quelles difficultés avez-vous affrontées ?

Jiseok : Notre période de formation a duré environ un an et demi et c'était une période de croissance intense. Apprendre à rester synchronisés en utilisant des indices visuels et des signaux a été l'un des plus grands défis pour nous, mais cela nous a aidés à créer un lien fort en tant que groupe.

Hyunjin : Les répétitions tard dans la nuit ont été particulièrement éprouvantes, mais ces moments nous ont aussi enseigné l'importance de la patience et du travail d'équipe. Il ne s'agissait pas seulement d'améliorer nos compétences, mais d'apprendre à nous soutenir mutuellement.

Chanyeon : Je me souviens de ces moments où nous attendions ensemble le dernier métro après les entraînements, et cela nous a vraiment rapprochés. Ces expériences de persévérance restent gravées en nous et influencent la façon dont nous abordons la musique et les performances aujourd'hui.

Leur premier single, Glow, ne se voulait pas simplement une chanson de lancement. Il était une déclaration d'intention. Le choix de la date de sortie n'était pas anodin et souligne l'importance de l'inclusivité. Le titre incarne cette vision, offrant une mélodie et des paroles qui évoquent l'espoir et l'unité même dans les moments les plus difficiles.

Pouvez-vous décrire le processus de création de votre premier single Glow et comment il reflète votre vision en tant que groupe ?

Hyunjin :Glow était spécial pour nous car ce n'était pas seulement une chanson de début, c'était une introduction à qui nous sommes. Nous voulions que cette chanson porte un message d'unité et de lumière, qui puisse résonner avec tout le monde, et en particulier avec ceux qui se sentent perdus.

Jiseok : En studio, nous avons veillé à ce que chaque détail - des paroles à la chorégraphie - véhicule un message d'espoir, de positivité et d'inclusivité. Glow représente l'idée que la musique peut combler les fossés et rassembler les gens. Nous espérons que chaque personne qui l'écoute ressentira cette connexion et comprendra le message que nous cherchons à transmettre.

Pour ces trois artistes, c'est aussi une nouvelle manière de montrer que la musique peut être une langue universelle, un moyen de communication qui dépasse les barrières physiques. Le clip de Glow, qui présente des mouvements de danse intégrant la langue des signes, a attiré l’attention du public et des critiques, devenant rapidement viral sur les plateformes coréennes.

Quels défis avez-vous rencontrés en tant que groupe pionnier dans l’industrie de la K-pop, et comment les avez-vous surmontés ?

Hyunjin : Nous ne nous voyons pas comme des pionniers, mais nous reconnaissons que l'intégration de la langue des signes dans nos performances reste assez unique dans la scène K-pop. L'un des défis a été d'aider les gens à comprendre notre vision. Il y avait une certaine incertitude quant à la manière dont cela serait perçu, mais nous nous sommes concentrés sur l’idée que notre musique dépasse le simple son - il s'agit de communication sous toutes ses formes.

Chanyeon : C’est exact. Nous ne cherchions pas à réinventer la roue, mais nous devions montrer que notre approche était différente. Il ne s'agissait pas seulement de prouver nos compétences musicales, mais de démontrer que l'inclusivité pouvait faire partie intégrante de la K-pop. Une fois que les gens ont vu la passion et la réflexion derrière ce que nous faisons, ils ont commencé à se connecter à notre message.

Jiseok : Nos Pados ont été une énorme source de force tout au long de ce parcours. Leur soutien nous a montré que notre vision de la musique résonnait auprès les gens, et cela nous motive à continuer à grandir et à partager notre message.

Pouvez-vous partager les moments les plus mémorables avec vos fans ?

Hyunjin : L'un des moments les plus marquants pour moi a eu lieu lors d'une séance de dédicaces. Un fan m'a confié que notre chanson de début, Glow, l'avait réconforté pendant une période très difficile de sa vie. Entendre que notre musique pouvait offrir ce type de soutien émotionnel a été incroyablement touchant.

Chanyeon : Pour moi, c'était lors d'un événement de visionnage en direct des Jeux Paralympiques. Un fan nous a dit que voir la persévérance des athlètes, associée à notre chanson Slow, l'avait inspiré à continuer à surmonter ses propres difficultés. Cela m'a rappelé l'impact réel que notre musique peut avoir dans la vie des gens.

Jiseok : Un fan a partagé une vidéo où il apprenait notre chorégraphie en y intégrant la langue des signes. Voir à quel point notre message résonne avec nos fans était vraiment spécial. Cela m’a rappelé le lien puissant que nous pouvons créer à travers la musique et la communication.

Comment espérez-vous inspirer vos fans et le public à travers votre approche unique de la musique ?

Hyunjin : Lorsque nous avons organisé un visionnage en direct des Jeux Paralympiques, cela nous a offert une opportunité spéciale de nous connecter à nos fans de manière plus personnelle et significative. Notre objectif est de créer des expériences où chacun se sent inclus et inspiré, peu importe où il se trouve dans le monde.

Chanyeon : Nous voulons rappeler à nos fans que chacun suit un parcours différent et qu'il est important d'avancer à son propre rythme - c'est ce que nous avons essayé d'exprimer avec Slow. En intégrant la langue des signes dans nos performances, nous espérons aussi inspirer les gens à embrasser la diversité et à montrer que tout le monde, peu importe son origine ou ses capacités, peut être inclus.

Avez-vous un modèle artistique ?

Chanyeon : J’admire vraiment Mark de NCT et Shotaro de RIIZE pour leurs incroyables compétences en danse. Collaborer avec Shotaro serait incroyable.

Hyunjin : Pour moi, c’est Yeonjun de TXT. Sa présence sur scène est inspirante et j’aimerais beaucoup collaborer avec lui sur une vidéo de challenge un jour.

Jiseok : RM de BTS est mon modèle. Son leadership et son talent artistique m’inspirent et collaborer avec lui serait un rêve devenu réalité.

L’innovation technologique au service de la création et de la performance artistiques

Big Ocean ne se contente pas de respecter les règles traditionnelles de la K-pop, ils repoussent également les limites de ce que l’on pensait possible en matière de création musicale. En tant qu’artistes malentendants, ils ont su intégrer des technologies innovantes pour surmonter les défis liés à leur handicap et offrir des performances à couper le souffle.

Hyunjin : Même si nous apportons quelque chose de nouveau avec l'utilisation de la langue des signes, nous conservons aussi des éléments fondamentaux de la K-pop, comme les performances énergiques et l'interaction avec les fans.

Chanyeon : Rester fidèle à l'essence de la K-pop tout en faisant évoluer son inclusivité est essentiel pour nous.

Jiseok : Nous faisons le lien entre la tradition et la nouveauté en représentant la communauté des personnes handicapées dans un genre connu pour sa connexion globale.

Quel rôle joue la technologie dans le processus de création de votre musique ?

Chanyeon : En studio, nous comptons sur différentes technologies pour nous aider à rester synchronisés, comme les montres vibrantes. Nous utilisons également des indices visuels et les retours des uns et des autres pour nous assurer que tout se déroule sans accroc tout au long du processus. De plus, nous utilisons une application qui nous indique sur quelle note nous chantons. Cela nous permet, en chantant, de nous assurer que nous atteignons la bonne note avec la bonne tonalité. Cette technologie, associée à une attention minutieuse aux détails, garantit que nos performances sont aussi précises et harmonieuses que possible.

Jiseok : Lors des performances, nous intégrons des supports visuels comme des écrans qui projettent les paroles et nous utilisons des outils qui amplifient les vibrations dans la musique, aidant ainsi tout le public à se sentir plus connecté à la performance. Nous avons également commencé à intégrer des visionnages en direct pour les fans, comme celui que nous avons organisé pour les Jeux Paralympiques, ce qui nous permet de nous connecter à eux et de créer des expériences partagées.

Hyunjin : Les événements de visionnage en direct nous permettent de nous engager avec nos fans en temps réel et de veiller à ce que notre contenu soit accessible à tous, y compris à ceux qui pourraient avoir besoin d'un soutien supplémentaire pour profiter pleinement de l'expérience.

Ces visionnages en direct durant les Jeux paralympiques ont en effet eu un impact significatif. Comment avez-vous vécu cette expérience ?

Hyunjin : Voir la détermination et la persévérance des athlètes pendant les Jeux paralympiques m’a profondément inspiré, me rappelant qu’aucun défi n’est trop grand pour être surmonté. Je me souviens vivement de l'excitation pendant notre diffusion en direct du tir à l’arc paralympique, où plus de 8 500 spectateurs se sont réunis pour encourager les athlètes.

Chanyeon : Soutenir les athlètes avec nos Pados pendant les visionnages des Jeux paralympiques, notamment sur Jjaann où nos fans se sont joints à nous avec leurs visages à l’écran, a été une expérience inoubliable qui m’a fait apprécier encore plus la force de l’esprit humain.

Jiseok : Voir comment les athlètes paralympiques ont repoussé leurs limites et brisé des barrières m’a profondément touché, surtout pendant les derniers jours, lorsque nous avons étendu notre plateforme et célébré avec nos Pados, renforçant ma conviction que, avec passion et dévouement, tout est possible.

Comment voyez-vous Big Ocean comme un pont entre les éléments traditionnels de la K-pop et une nouvelle vague d'inclusivité et de représentation pour la communauté des personnes porteuses de handicap ?

Jiseok : Remporter le Newsis Hallyu Award en 2024 a été un moment important pour nous car c’était la reconnaissance que notre mission lie les éléments traditionnels de la K-pop à l'inclusivité. L'un des moyens par lesquels nous créons ce lien est à travers des événements comme le visionnage en direct que nous avons organisé pour les Jeux paralympiques avec nos Pados. C’était une façon significative de partager une expérience et de se connecter à nos fans à un niveau plus profond. Cette victoire renforce notre conviction que le message que nous envoyons résonne auprès des gens et cela nous motive à continuer à créer de la musique qui non seulement divertit mais aussi inspire et rassemble tout le monde, quelles que soient leurs origines ou leurs défis.

Quels sont les impacts culturels et sociaux que vous espérez atteindre en intégrant la langue des signes dans la K-pop, un genre qui met traditionnellement l'accent sur les éléments visuels et auditifs ?

Hyunjin : Nous espérons élargir la portée de la K-pop en la rendant accessible aux fans ayant des besoins divers, y compris ceux qui dépendent de la langue des signes. En créant une culture plus inclusive, nous voulons nous assurer que personne ne se sente exclu et que tout le monde puisse profiter de notre musique et y trouver une connexion.

Pouvez-vous expliquer comment vos chansons visent à transmettre des messages d’espoir et de résilience qui transcendent le thème du handicap ?

Chanyeon : Des chansons comme Glow et Blow parlent de surmonter les obstacles de la vie, un thème qui va au-delà du handicap. Remporter le Newsis Hallyu Award en 2024 nous a montré que notre message de résilience et d’espoir est entendu. Cela nous motive à continuer à créer de la musique qui touche les gens, quels que soient les défis qu’ils affrontent.

Comment envisagez-vous l’évolution de votre musique et de votre style dans vos prochaines sorties, comme votre dernier single Slow ?

Hyunjin : Avec Slow, nous voulions approfondir le récit émotionnel. C’est une chanson qui parle de prendre son temps et de faire confiance à la voie que l’on suit. Collaborer avec Young K de DAY6 a ajouté une nouvelle dimension à ce message, car il a apporté son propre style unique et sa profondeur à la chanson.

Chanyeon : Comme Glow, Slow parle toujours de connexion, mais cette fois, il s'agit davantage de trouver la paix à son propre rythme. Nous avons davantage expérimenté l’arrangement, lui donnant une ambiance plus détendue, ce qui nous semblait être la prochaine étape alors que nous continuons de grandir.

Comment conciliez-vous votre développement personnel en tant qu'artistes individuels avec votre identité collective en tant que Big Ocean ?

Chanyeon : Le développement personnel est essentiel. Mais nous l'alignons toujours avec les objectifs communs du groupe. Il s'agit de fusionner nos compétences individuelles dans une vision plus large, en veillant à ce que ce que nous apprenons personnellement enrichisse ce que nous créons ensemble en tant que Big Ocean.

Jiseok : Tout est une question d'équilibre. Nous nous encourageons mutuellement à grandir individuellement mais nous nous poussons également en tant qu'équipe. Cette combinaison de croissance personnelle et collective est ce qui rend Big Ocean unique.

Avez-vous des projets ou des collaborations à venir qui explorent de nouvelles formes d'expression artistique ou qui continuent à briser les barrières ?

Chanyeon : Nous avons eu beaucoup de chance de collaborer avec des artistes qui nous inspirent à continuer de repousser les limites. Notre récente collaboration avec Young K de DAY6 sur Slow a été une opportunité passionnante de mélanger notre style unique avec celui de la K-pop grand public. Cela a montré comment l'inclusivité peut être intégrée naturellement dans le genre. Nous cherchons toujours de nouvelles façons de nous connecter aux gens et de favoriser une meilleure compréhension au sein de l'industrie.

En conclusion, Big Ocean ne se contente pas de faire de la musique ; ils redéfinissent ce que la musique peut être. Ils montrent que la K-pop, tout en restant fidèle à ses racines, peut encore évoluer, surprendre et surtout, inclure tout le monde.

Pouvez-vous partager des moments spéciaux ou des retours qui ont renforcé votre engagement en faveur de l'inclusivité dans les arts ?

Hyunjin : Un Pado malentendant nous a un jour confié combien cela comptait pour lui de voir la langue des signes dans nos performances. Ce retour était un puissant rappel de la raison pour laquelle nous faisons cela : pour que chacun puisse vivre notre musique, quelles que soient ses capacités.

Chanyeon : Après l’un de nos concerts, un Pado nous a dit que l’utilisation de la langue des signes dans notre performance lui avait permis de se sentir connecté à nous d’une manière qu’il n’avait jamais ressentie avec d’autres artistes. C’était un rappel fort que ce que nous faisons dépasse la simple musique : c’est avant tout pour que chacun se sente inclus.

Jiseok : Nous avons aussi eu des Pados qui nous ont dit que notre musique leur avait donné la confiance nécessaire pour accepter pleinement leur identité. Savoir que nous avons aidé quelqu’un à se sentir plus sûr de lui-même nous pousse à rester fidèles à notre message d’espoir et d’inclusivité.

Comme l'explique Hyunjin, « nous voulons être un océan, un espace où chacun trouve sa place, où chacun peut s'exprimer à sa manière et où personne n'est laissé de côté. »

Un grand merci à Hyunjin, Chanyeon et Jiseok, à Kaikiyi Pacheco qui a coordonné l'interview et à l'agence Parastar Entertainment.


* Présents partout à travers le monde, les journalistes honoraires de Korea.net ont pour mission de faire connaître et partager leur passion de la Corée et de la culture coréenne au plus grand nombre.

caudouin@korea.kr