Par Lantou Onirina, journaliste honoraire de Korea.net
J’ai eu le privilège d’une visite privée avant l’inauguration de l’exposition « Good Morning Korea au pays du matin calme », qui se visite à la Maison Guerlain dans le cadre de Paris+ Art Basel. Une exposition que je ne devais pas rater, vu sa thématique autour du dialogue entre tradition et innovation dans l’art contemporain coréen.
À travers les œuvres de dix-sept d’artistes, l’exposition m’a plongée dans un univers où les frontières entre l’ancien et le moderne sont constamment redéfinies. Lors de ma visite, j’ai été frappée par la manière dont chaque œuvre semble refléter cette dualité culturelle, tout en invitant à une expérience sensorielle inédite. En effet, les œuvres sont disséminées partout sur trois niveaux dans la Maison Guerlain, au milieu des flacons de parfums iconiques de la marque. Certaines œuvres sont d’ailleurs jumelées avec un parfum de la gamme Guerlain, choisi par l’artiste, ce qui rajoute à l’expérience inédite.
Le passé et présent de l’art contemporain coréen, témoins d’une société qui elle-même cultive résolument son histoire et son sens de l’innovation, résonne dans une maison Guerlain qui conjugue héritage et tradition. La boucle est bouclée.
S’il y a bien un point qui caractérise le peuple coréen, c’est son amour de la nature. Et elle est particulièrement présente au sein de l’exposition. La montagne notamment. J’ai été fascinée par la montagne que Suki Seokyeong Kang nous a amenée jusqu’à Paris. Cette artiste explore des médias comme la sculpture, la peinture ou encore la vidéo. Sa série « Mountain » de laquelle est issue l’œuvre qu’elle présente évoque des montagnes à travers les saisons avec des matériaux tels que l'acier peint et des fils. Les formes simples et organiques rappellent des coups de pinceau, et chaque sculpture reflète les couleurs et l'énergie de la saison. Si, de loin, j’ai presque eu l’impression d’une peinture, en m’approchant c’est le mouvement des fils qui m’appelle. Silencieux, presque imperceptibles au passage des visiteurs. Comme en pleine forêt. En pleine nature.
Une autre artiste dont l’œuvre sur la thématique de la nature morte m’a grandement intéressée est Heemin Chung. Ici, la tradition du genre est sublimée par le recours à l’impression numérique en 3D de feuilles recouvertes de gel et posées les unes sur les autres pour figurer une nature morte d’une nouvelle époque, tout en texture et en volume. Le parfum Musc Outreblanc de Guerlain a par ailleurs été choisi par l’artiste comme inspiration olfactive pour accompagner ce tableau.
Plus oniriques sont les tableaux de Woo Kuk won, accompagnés du parfum Mitsouko de Guerlain. Les forêts traditionnelles laissent place à des forêts qu’on penserait tout droit sorties des contes de fées. C’est coloré et ça a l’air joyeux. Le travail sur les volumes et les textures est remarquable. En s’attardant, on s’aperçoit que l’œuvre, intitulée « Walden » est moins légère qu’elle ne le parait à première vue. Les phrases bordant les tableaux sont teintées de cynisme, les petits personnages sont dans des positions inconfortables. Woo Kukwon s’est inspiré du livre de Henri David Thoreau intitulé Walden ou la Vie dans les bois. En 1845, cet auteur avait choisi de vivre simplement, dans une forêt en harmonie avec la nature. Travaillant juste pour ses besoins essentiels, il se nourrissait des merveilles du monde : paysages, brises et soleil deviennent ses richesses. Un appel à la liberté et à la redécouverte de soi à travers la nature qui résonne encore plus aujourd’hui. Et donne à réfléchir.
Réfléchir, c’est ce que propose Nam June Paik. Artiste pionnier de l’art vidéo, il propose des œuvres iconiques fusionnant tradition coréenne et technologie. Ici, son installation « TV Rodin » combine une sculpture inspirée de Rodin avec une télévision et une caméra diffusant des images. Cette œuvre symbolise la rencontre entre l'art classique et les médias modernes, questionnant l'influence de la technologie sur l'art et la perception. Ce contraste entre la quiétude spirituelle et le flux technologique perpétuel pose des questions sur l’ère numérique et son impact sur la spiritualité et la contemplation, une thématique particulièrement pertinente dans la Corée contemporaine.
La contemplation également sublimée dans les tableaux de H.K. Kwon. Héritier du mouvement Dansaekhwa qui signifie monochrome, l’artiste crée des paysages méditatifs à travers une interaction physique et introspective avec la toile. Ses œuvres, réalisées par l'application successive de couches d'huile posées au doigt, révèlent une réalité subtile et cachée. Ces séquences répétitives de gestes horizontaux et verticaux invitent le regardeur à explorer la profondeur du tableau, où chaque nuance et texture émerge lentement sous la surface, évoquant à la fois la matérialité et l’intangible.
Ce ne sont que quelques-unes de œuvres à découvrir à la Maison Guerlain. J’ai choisi le thème de la nature mais beaucoup d’autres thématiques sont à approfondir, notamment l’idée de l’appartenance, la fragilité humaine face aux évolutions technologiques, la place de la femme dans la société, les changements climatiques…
Avant de partir, n’oubliez pas de regarder Barrel Eye, un film de Omyo Cho, une artiste qui explore la sculpture, l’installation et, plus récemment, la vidéo. Elle collabore avec des neuroscientifiques pour examiner des concepts tels que le transfert de mémoire et les sensations par procuration. Avec Barrel Eye, elle imagine un futur où la technologie permet de transférer les souvenirs d'autres personnes dans sa propre vie. Dans ce monde post-apocalyptique, rendu inhabitable par le changement climatique, le spectateur, guidé par un chat dans une « forêt mémoriale », explore des souvenirs matériels à travers des récits virtuels.
L’exposition « Good Morning Korea » réussit à créer un espace où tradition et innovation coexistent harmonieusement. Les artistes coréens présentés n’hésitent pas à revisiter leur héritage tout en adoptant les technologies les plus contemporaines, offrant ainsi une réflexion sur l’avenir de l’art et de la société. Ce parcours sensoriel et réflexif nous rappelle que l’art, tout comme la culture coréenne, est en constante évolution, naviguant entre les récits du passé et les visions du futur.
Vous l’aurez compris, courez-y. C’est jusqu’au 12 novembre et l’entrée est libre.
* Présents partout à travers le monde, les journalistes honoraires de Korea.net ont pour mission de faire connaître et partager leur passion de la Corée et de la culture coréenne au plus grand nombre.