Journalistes honoraires

11.04.2025

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Véronique Eicher lors d’une séance de dédicaces à la librairie Le Phénix, à Paris. © Véronique Eicher

Véronique Eicher lors d’une séance de dédicaces à la librairie Le Phénix, à Paris. © Véronique Eicher



Par Danielle Tartaruga

Véronique Eicher vient de rendre un très bel hommage à sa maman et à sa famille coréenne, grâce à ce beau livre Pureté de Jade, qui vient de paraître aux éditions l’Atelier des Cahiers.

Le livre nous dévoile des vies hors du commun qui nous mènent de Corée en Mandchourie, en Amérique, mais également en France et nous font traverser un XXe siècle à la fois tourmenté, mais également ouvert sur tous les possibles, avec l’espoir, au bout , d’une vie meilleure.

On partage avec cette famille l’occupation japonaise en Corée, la seconde guerre mondiale vécue de Mandchourie, la guerre de Corée qui nous entraîne à Busan, l’Amérique bouillonnante des années 50, puis la France de l’après-guerre jusqu’à nos jours.

Les personnages sont attachants, courageux et exemplaires, à commencer par Ok-soun (qui signifie « pureté de jade ») la maman de Véronique Eicher, mais également les grands-parents de l’auteure, ainsi que ses frères et sœurs.

Ce livre résonne également comme une ode à l’éducation, un plaidoyer pour l’instruction , la curiosité intellectuelle et l’éveil en général !

Il est enfin, selon moi, un parfait exemple de la résilience du peuple coréen.

Pour toutes ces raisons, j’ai souhaité découvrir son auteure et le contexte d’écriture de ce livre, par le biais d’une interview, afin de pouvoir lui poser toutes les questions que j’avais au bout des lèvres après la lecture de l’ouvrage. L’occasion également d’en savoir davantage, sur les méthodes de rédaction de son livre.

La couverture de « Pureté de Jade ». © Danielle Tartaruga

La couverture de « Pureté de Jade ». © Danielle Tartaruga


Danielle Tartaruga : Pourriez-vous vous présenter aux lecteurs de Korea.net et nous expliquer un peu votre parcours ?

Véronique Eicher : Je suis née aux États-Unis en 1959, d’un père français et d’une mère coréenne, seconde et seule fille d’une fratrie de quatre enfants. J’ai grandi en France, fait mes études à Dijon puis à Paris, en histoire de l’art médiéval. Mon père ayant fait l’essentiel de sa carrière universitaire en Bourgogne, j’ai un attachement profond pour cette région, et je lui ai consacré mes sujets de recherche (en maîtrise, DEA et thèse).

J’ai fait toute ma carrière professionnelle dans des institutions culturelles et pédagogiques, pour terminer, en sautant quelques siècles, dans le domaine du design contemporain. Je suis responsable des partenariats académiques d’une grande école publique de design : l’École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI – Les Ateliers). J’y encadre des élèves suivant un double diplôme en Design et ingénierie, architecture ou communication. L’ENSCI a un grand réseau international d’écoles partenaires, dont la Corée fait partie (Hongik University).

Pourquoi avez-vous ressenti le besoin d’écrire ce livre sur votre mère et votre famille ?

C’était un projet de longue date, nourri de toutes les histoires, ou bribes d’histoires, racontées par notre mère, par nos grands-parents, nos oncles et tantes lors de nos séjours aux États-Unis, par notre père aussi. Être au carrefour de deux cultures m’a très tôt interrogée, m’a fait m’intéresser aux hybridations et à la richesse des rencontres de tous ordres. Comprendre d’où l’on vient pour donner le meilleur de soi même…

Retrouvailles de la famille autour du père, de retour à la clandestinité à la libération de Séoul en septembre 1950. © Véronique Eicher

Retrouvailles, de retour de la clandestinité, à la libération de Séoul en septembre 1950. © Véronique Eicher


Comment avez-vous procédé pour la rédaction de cet ouvrage ? De quelle façon avez-vous remonté le temps avec elle ?

J’ai commencé à interviewer ma mère pendant le confinement dû au covid-19, je l’écoutais pendant deux à trois heures en prenant des notes, puis je passais plusieurs jours à rédiger selon mes notes. Nous n’avons pas forcément suivi un fil chronologique, nous partions d’un souvenir qui était le point de départ d’une évocation tant familiale qu’historique. Je passais ensuite beaucoup de temps à faire des recherches et vérifier l’exactitude des faits évoqués.

Que ressentez-vous après la parution de ce livre et le fait d’avoir couché sur papier cette histoire familiale ?

Je suis très heureuse d’avoir mené ce projet à terme, il était important pour moi de le voir aboutir du vivant de ma mère, qui aura bientôt 94 ans. Mais je ne l’ai pas conçu exclusivement comme un hommage familial. L’Asie véhicule beaucoup de fantasmes chez les occidentaux, parfois peu fondés sur une réalité historique objective. J’avais envie, à travers un témoignage de vie(s), de donner à lire autrement l’histoire moderne des ces terres exotiques (j’explique cela dans l’avant-propos de mon livre), même si l’une des conclusions évidentes est que les horreurs de la guerre sont les mêmes sous toutes les latitudes !

Je sais que vous faites actuellement des présentations du livre dans plusieurs librairies et des séances de dédicaces, comment le public accueille-t-il votre livre ?

Jusqu’à maintenant, plutôt très bien ! Mais il est un peu tôt pour avoir un retour consistant et objectif… L’essentiel des retours vient de proches ou de connaissances…

En lisant ce livre, on se dit que l’éducation, l’intelligence et la situation professionnelle de vos grands-parents ont souvent permis de pouvoir trouver des solutions dans les périodes les plus délicates liées aux guerres. Qu’en pensez-vous ?

Lorsque la situation oblige à donner le meilleur de soi-même pour survivre et pour construire une existence appréciable envers et contre toute adversité, l’être humain peut trouver une énergie dont il se serait pensé incapable dans d’autres circonstances… L’intelligence et l’amour des parents sont de puissants moteurs pour y parvenir. Ma mère a eu cette chance, qu’elle a intégrée comme ontologique à sa propre vocation maternelle.

On connait actuellement la pression qu’exercent les parents pour la réussite scolaire de leurs enfants en Corée, et vous êtes vous-même issue d’une famille d’intellectuels, une famille brillante. Comment vit-on un tel héritage ? Avez-vous ressenti une certaine pression vous-même durant votre scolarité ? Comme une obligation de réussite ?

Voici une étrange question à laquelle je vais tenter de répondre.

Ma mère a fait un choix affirmé et toujours honoré, de nous ancrer le plus confortablement possible dans « le terreau » qui devait être le nôtre. Elle a souhaité apprendre à maîtriser elle-même le français pour mieux nous accompagner dans notre apprentissage scolaire, plutôt que de nous parler dans sa langue. Elle a constitué avec notre père un socle familial fondé sur la curiosité, la bienveillance, les stimulations intellectuelles et culturelles. Elle ne nous a pas tiraillés entre deux cultures, et – même si pour elle, le respect des aînés a toujours été une vertu cardinale – elle ne nous pas chargés du poids d’un héritage familial qu’il nous aurait fallu honorer en toute circonstance. Il y avait bien sûr pour elle, de façon implicite, une « obligation de réussite », mais pas comme une injonction impérieuse parentale, plutôt comme une manière d’aller au bout des choses… En conclusion, si j’ai parfois ressenti « une certaine pression », ce n’était pas à cause de « mon héritage coréen »...

Votre maman était très « moderne » pour son époque, indépendante, curieuse, cultivée, pensez-vous que c’était plutôt lié à son éducation ou lié à sa personnalité ? Aviez-vous conscience de tout ce qu’elle a accompli ?

J'avais conscience de ce qu'elle avait traversé, et de la force d'âme qu'il lui avait fallu pour parvenir à construire cette vie riche et intense, mais j'ai vraiment découvert cette force d'âme et son rôle fédérateur dans la famille en l'écoutant... J’ai conscience de ce qu’elle a accompli, je pense que mon livre le dit clairement !

Votre maman a-t-elle exprimé (en étant plus âgée), une certaine souffrance liée au poids des responsabilités qui étaient les siennes durant les différentes périodes de sa vie, et ce depuis son enfance ?

Non. Ce que ressent ma mère relève plus d’une forme de nostalgie… L’intensité avec laquelle elle a traversé les différentes périodes de sa vie est due autant aux circonstances qu’à sa propre personnalité, avide de tout vivre à fond, de ne jamais passer à côté d’une leçon de la vie. Cette intensité, qui lui a sans doute évité certains regrets, n’a eu d’égal que l’entêtement avec lequel elle a toujours poursuivi l’aboutissement de ses projets.

Ok-soun avec son oncle lors d’un transit aux États-Unis. © Véronique Eicher

Ok-soun avec son oncle en transit à Tokyo pour les États-Unis. © Véronique Eicher


Au-delà de l’hommage que vous rendez à votre maman, c’est également un magnifique hommage fait à Halmeoni (Grand-mère), quelle femme courageuse ! Avez-vous des souvenirs d’elle aux États-Unis ?

Oui, comme je l’écris dans le livre, la barrière de la langue était un petit handicap dans les échanges que nous avions avec elle, mais je garde d’elle un souvenir lumineux, celui d’une grand-mère sereine et aimante, d’une douceur qu’une vie d’épreuves a sans doute construite en réponse à la dureté de sa vie passée, une fois en sécurité et dans le confort du nouveau monde. Je ne l’ai pas beaucoup côtoyée, et l’écriture de ce livre a été aussi un voyage à la rencontre de mes grands-parents.

Et allez-vous de temps en temps en Corée rendre visite à la famille restée au pays ?

Non, car toute ma famille (grands-parents, oncles et tantes et cousins) est installée aux États-Unis depuis les années soixante. Je leur ai en revanche souvent rendu visite sur le sol américain.

Mon seul contact avec la Corée a été un voyage effectué en 2015, avec ma mère et Jean-Christophe, mon frère aîné. Ce voyage a été très émouvant. Il a parfois rendu lisible certains aspects instinctifs et spontanés de ma propre personnalité, qui n’étaient pas seulement dus à mon éducation. Je pense notamment à mon rapport à la nature, qui m’est de plus en plus impérieusement nécessaire, à mesure que j’avance en âge. En Corée, le respect absolu dû à cette nature – si belle en Corée – loin de la « domestication » et « l’esthétisation » imposée par le Japon , m’a profondément touchée.

Votre livre n’est-il pas également plaidoyer pour l’instruction et une ode à l’éducation ?

Merci d’avoir compris cela ! Oh oui, l’éducation est fondamentale ! Oui, quand elle éveille à la curiosité, à la compréhension du monde et à la bienveillance vis-à-vis des différences, quand elle autorise à penser que ces différences sont une richesse motrice plutôt qu’une source de conflit, de mépris et de stigmatisation. L’ignorance est responsable de tant de souffrances inutiles…

Avez-vous d’autres projets d’écriture les mois à venir ?

Je suis encore en activité professionnelle (jusqu’à fin 2025). L’écriture demande une plasticité et une disponibilité mentales que je n’ai pas encore pleinement. Je ne suis pas sûre d’avoir le talent créatif d’une romancière mais écrire pour d’autres, mettre ma plume au service d’autres qui voudraient donner corps à des récits ou des histoires, est une aventure qui me plairait beaucoup.

Véronique Eicher lors d’une séance de dédicaces à la librairie Le Phénix, à Paris. © Véronique Eicher

Véronique Eicher lors d’une séance de dédicaces à la librairie Le Phénix, à Paris. © Véronique Eicher


Merci beaucoup à Véronique Eicher d’avoir pris le temps de nous répondre afin de nous dévoiler les coulisses de l’écriture de ce magnifique livre.

Nous lui souhaitons le meilleur pour la suite et tout le succès mérité pour Pureté de Jade !

Informations complémentaires sur le site Internet des éditions l'Atelier des Cahiers.


Présents partout à travers le monde, les journalistes honoraires de Korea.net ont pour mission de faire connaître et partager leur passion de la Corée et de la culture coréenne au plus grand nombre.

caudouin@korea.kr