Depuis 2009, le ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme invite des représentants du monde artistique du monde entier via son programme K-Fellowship afin de promouvoir les échanges internationaux. Ce programme a déjà permis d'accueillir en Corée plus de 200 directeurs de musées, d'opéras ou de galeries d'arts et de lancer différents projets de collaboration. Cette année, le K-Fellowship invite 15 personnalités du monde culturel, recommandées par les centres culturels coréens. Pour ce sixième épisode, Korea.net a rencontré Arnaud Bertrand, conservateur en charge des collections coréennes et des collections archéologiques chinoises au musée Guimet depuis août 2023.
Arnaud Bertrand s’entretient avec la directrice du Musée de l'artisanat de Séoul, Kim Soo Jeong (à droite, en noir), le 30 septembre 2024. © Musée de l'artisanat de Séoul
Par Charles Audouin et Gil Kyuyoung
À Paris, place d’Iéna, se trouve le musée Guimet, le plus grand musée d’art asiatique d'Europe. À l’intérieur, une collection de plus de 1 500 peintures, céramiques, statues et autres œuvres qui illustrent la richesse de la civilisation coréenne.
La mise en valeur de ce patrimoine unique est assurée par Arnaud Bertrand, archéologue de formation et spécialiste de la Chine ancienne. Également enseignant à l'École du Louvre et à l'université catholique de Paris, il écrit régulièrement pour la chaîne YouTube Nota Bene, suivie par plus de 2,5 millions de passionnés d’histoire.
Korea.net : C'est votre première fois en Corée. Quelles sont vos impressions ?
Arnaud Bertrand : J’ai l’impression d’être dans une forme de pays américano-confucéen. C’est chouette, parce qu’on a des valeurs occidentales très claires qui sont là depuis 50 ans, ne serait-ce que quand on voit le nombre impressionnant de cafés à chaque coin de rue. N’importe quel étranger se sentirait dans une forme d’Asie occidentale ! Et en même temps, on a une facette hyper-traditionaliste, hyper-administrative, hyper-confucéenne, bénie dans une dimension où le syncrétisme fait foi de plusieurs religions très catholiques, mais aussi très bouddhiques où les aspects de longévité, notamment à travers le taoïsme et le chamanisme, sont très présents. On a donc un deux poids deux mesures qui s'intègre parfaitement bien, et qui semble, selon moi, être l’une des raisons pour lesquelles la Corée est un des pays les plus en vogue en ce moment.
Quel était l’objectif de votre visite ?
L’objectif était d’abord de pouvoir travailler avec un certain nombre de collaborateurs que je connaissais déjà, mais aussi de m’immerger dans une culture que je n’avais abordée que dans les livres et les œuvres d’art, ainsi qu’à travers mes échanges avec de nombreux coréanophiles français, tous amateurs de K-dramas et de K-pop.
L’occasion était aussi de lancer 2026, année qui sera spécialement consacrée à la Corée, en célébration du 140e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques avec la France. Il est question d’élaborer une programmation culturelle, une programmation musicale, des symposiums, des colloques, des conférences, des séances de recherche et de digitalisation des collections et aussi des projets d'amélioration des galeries existantes. On peut réfléchir à des œuvres « ambassadrices » qui viennent de Corée et qui s’intègreraient dans les collections permanentes, ou présenter des peintures, des manuscrits, ou des textiles, qu’on voit très rarement. Je pense notamment aux banhwa, les fleurs ornementales en métal offertes par Gojong à Sadi Carnot, et qui ont ensuite été données au musée Guimet par le fils de celui-ci dans les années 50.
Ce séjour m’a aussi permis de dialoguer avec de nombreuses institutions, en particulier à propos des demandes de prêts pour le projet de l’année 2026. J’ai également été un ambassadeur de plus que la présidente du musée Guimet, Yannick Litz, qui a profité de ma venue pour se rendre en Corée pour participer à certaines des réunions. Le K-Fellowship a été, au final, le dynamisme de départ pour lancer l’année 2026, ce qui n’est pas rien !
Les banhwa offerts par Gojong à Sadi Carnot. © Fondation du patrimoine culturel coréen à l’étranger
Le musée Guimet comporte actuellement trois salles consacrées aux œuvres coréennes. Dites-nous en plus.
Le musée Guimet est l’ambassadeur même des relations entre la France et la Corée. Au 19e siècle, alors que le public est davantage japonophile ou sinophile, les premières présentations d’art coréen sont très folkloriques et traditionnelles. Ensuite, toutes les collections coréennes qui arrivent à Guimet sont du fait des ambassadeurs français en Corée, notamment Victor Collin de Plancy et Roger Chambard. On a donc une galerie très représentative politiquement de ces rapprochements. Maintenant, ce que celle-ci doit être capable de faire, c’est d’identifier la culture coréenne sans qu'elle soit exprimée par une influence japonaise ou chinoise. La Corée est un pays en mouvement. Et mon rôle, en tant que conservateur, est donc d’identifier la minutie, le détail, la précision technique qui est spécifique à la Corée.
Votre point de vue sur l’état de la connaissance sur l’art coréen en France ?
En termes de ressources documentaires, il y a une grande pauvreté, même si une publication en anglais des collections d’art coréen du musée Guimet a récemment été réalisée par la Fondation du patrimoine culturel coréen à l’étranger. Très peu d’ouvrages et de manuels sur le sujet sont accessibles.
J’ai par ailleurs lancé le tout premier cours sur l’art coréen de l’école du Louvre, en collaboration avec Okyang Chae-Duporge, la seule maîtresse de conférences en art coréen en France. L’objectif in fine est d’arriver à rassembler ces deux publics, ceux qui sont intéressés par la pop culture coréenne et ceux qui s’intéressent à la culture plus traditionnelle. L’intérêt est aussi de permettre aux étudiants de se former sur le sujet, en anticipation pour 2026.
Arnaud Bertrand présente la galerie coréenne du musée Guimet, le 9 septembre 2024. © Fondation du patrimoine culturel coréen à l’étranger
Avez-vous remarqué des changements quant à l’intérêt porté à la Corée ?
Des changements dans la fréquentation du musée commencent à se faire voir, en particulier grâce aux événements organisés par le musée, comme celui de Chuseok qui a eu lieu en septembre dernier. Mais je crois qu’un écart persiste encore entre l’art traditionnel, qui reste difficilement identifiable, et la pop culture. L’expo de 2026 va sans doute faire appui sur les K-dramas pour montrer comment il y a une continuité avec cet art traditionnel.
Par contre, ce qui est sûr, c’est qu’énormément d’étrangers se rendent en Corée, et que les foires d’art contemporain viennent désormais à Séoul, the place-to-be pour énormément de secteurs, tant économiques que culturels. Je crois aussi que 2026 sera, de fait, différente de 2016 parce que tout le monde est porté sur les arts coréens.
Un dernier mot pour les lecteurs de Korea.net ?
Il faut venir en Corée. Ce qu’on apprend par les livres ou la culture ne représente absolument pas une civilisation. Le meilleur exemple, c’est
Squid Game : ce n’est pas ce qu’on voit tous les jours au coin de la rue. Il faut arriver à percevoir ce qui est particulier en Corée, tout comme la grande amabilité, gentillesse et confiance qui règne entre les gens. Personnellement, ce qui me plaît beaucoup, c’est qu’on se moque que vous soyez un étranger ou un touriste. Vous êtes juste une personne lambda ! C’est une chance de pouvoir découvrir le pays en étant considéré juste comme quelqu’un qui vient visiter.
caudouin@korea.kr